J’ouvre ce vieux dictionnaire de 1909, avec le buste de Pierre Larousse, je tombe sur Politique. Qu’est-ce qu’il fout là lui ? Et moi ? Qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour tomber sur Politique ? Et juste avant, c’est Policier. On est bien mal tombé. Qu’est-ce qu’il foutait donc avec Politique et Policier ? C’est ce qu’on lui demande souvent. Pourquoi il s’est engagé, Per-Jakez ? Comment il a pu faire un truc pareil, car on le voit comme un politique, un écrivain politique, un poète d’avant-garde. Qu’est-ce qu’un artiste en uniforme de flic ? C’est ça qu’on lui demande tout le temps. Per-Jakez écrivait ses pamphlets en uniforme bien souvent. Il notait sa rage dans des poèmes dans son ordinateur, juste à côté de son képi militaire. Il ne s’occupait pas forcément de politique, il faut bien se l’avouer tout de même. Ou un peu, comme tout le monde. La politique c’est comme la musique. Quand vous demandez les goûts musicaux à quelqu’un, il dira toujours, Oh moi, vous savez, j’écoute un peu d’tout. Et lui aussi c’était la politique d’un peu d’tout. A la télé, à la radio, dans les journaux. La politique-spectacle en quelque sorte. Et ça le dégoûtait un peu. Tous les jours, la politique infusée goutte à goutte dans le quotidien des gens. La politique, c’est comme le tarot dans les bus, faut avoir des bons atouts. Car souvent il était dans le car, jusqu’à ce que le cortège de la manif passe devant l’escadron. Mais là, il en manquait des atouts et surtout des bouts, quand il s’était fait convoquer par le capitaine. Le major avait dit au capitaine que c’était dans le journal. Le titre de l’article faisait jaser à la direction, puis après ça redescendait. Ça monte vers les huiles de là-haut et ça finit toujours par redescendre. Alors le major avait pris l’appel. C’était la direction, à Paris. Il fallait de suite réagir. Il y avait la photo de Per-Jakez dans l’article, avec aussi un titre. Tout était écrit noir sur blanc. Le journaliste avait voulu frapper les imaginations. Ça tombait bien l’imaginaire en plus, ça parlait de poésie, et non de politique. J’ai dû me tromper dans le dictionnaire. J’aurais du tomber sur Poésie. Son collègue était cependant venu l’engueuler vertement. C’était le p’tit Roger. Pour lui ça n’était sûrement pas ça la poésie. Limite qu’il défonçait la porte du bureau le p’tit Roger. C’était le bureau du décompteur. Il décomptait encore des mots à cette heure-là. Le p’tit Roger lui a dit, On s’est tous pris la honte au commandement. Ils ont dit, Il est chez vous le flic poète ? Mais Per-Jakez n’a pas eu le temps de rétorquer. Il lui fallait décompter. Puis ensuite il y a eu ce meurtre. Alors ils se sont mis à chercher le meurtrier. Ils ne savaient pas où trouver le meurtrier. Peut-être ils étaient plusieurs à avoir tué. Il fallait coûte que coûte le retrouver qu’ils se disaient dans la brigade. Tout le monde voulait la peau du meurtrier. À moins qu’ils soient plusieurs. Personne savait vraiment combien ils pouvaient être. Il a peut-être agi seul ? Mais il avait à coup sûr des complices. Il y avait peut-être un tout premier meurtrier et les autres sont venus après ? Ils se sont mis à plusieurs sur le cadavre, mais chacun son tour. Ils ont pris leur temps pour le tuer. Il est peut-être mort tout de suite, mais les autres ne le savaient pas. Ils ont continué à le tuer, en fait. Alors qu’il était déjà mort. Ils ont tué par ignorance. Ce sont des meurtriers ignorants. C’est ce que tout le monde se disait dans la caserne. Il fallait se mettre à les rechercher. Personne ne sait combien ils étaient à vouloir connaître les meurtriers ignorants. Peut-être que Per-Jakez était tout seul ? Non, il n’était pas le seul. Mais lui-même l’ignorait. Jusqu’à ce qu’il entende quelqu’un dire qu’il lui ferait bien la peau. C’était le p’tit Roger. Il a dit, Où se trouve donc cet enfant de putain ? - Les enfants de putains courent les rues, a répondu le grand Roger. Puis le p’tit Roger a dit, Pas tous les enfants de putains. - Certes, il y a des enfants de putains qui ne courent plus les rues, a rétorqué le grand Roger. Mais il y a au moins un enfant de putain qui les court en ce moment-même, et il nous faut courir après l’enfant de putain qui court les rues en ce moment-même. - On ne sait pas qui il est, a dit Per-Jakez. Le grand Roger l’a regardé longtemps. Très longtemps le grand Roger a regardé Per-Jakez, comme s’il ne l’avait jamais vu. Mais c’est lui Per-Jakez qui ne l’avait jamais vu. Et lui il n’avait jamais fait attention à Per-Jakez, alors c’est pour ça qu’il l’a regardé longtemps. Per-Jakez lui a dit, Je sais de quoi j’cause. Et lui aussi il savait de quoi il causait. Tout le monde savait bien que ça causait du meurtrier. Personne ne pouvait d’ailleurs faire autrement, tout le monde était sur l’affaire. Même ceux qui revenaient de l’infirmerie, ils étaient déjà sur le coup. - Vous êtes pas partis à la visite vous autres, qu’ils leurs disaient ? Vous êtes pas allés faire pipi dans l’bocal ? À Dédé elles lui ont dit, Tu prends le bocal et tu pisses dedans. Et après tu le vides et tu le rinces. - A moi, elles m’ont fait pisser comme ça deux fois de suite. - Tu parles d’une conversation, a dit le p’tit Roger ! - Ah ça on peut dire que vous avez de la conversation, a dit le grand Roger. - Et le p’tit Roger il a pris ses gougouttes au moins, a demandé Dédé ? - Va te faire foutre, espèce de pédé à roulette, a dit le p’tit Roger. - Ça c’est son mot, pédé à roulette, a dit le grand Roger ! - Il est sans arrêt derrière mon cul, l’autre là ! Il est sans cesse derrière mon cul, le grand Roger, a dit le p’tit Roger ! – Moi, j’ai une tension d’jeune homme, moi monsieur, a dit le grand Roger ! (Il avait son holster dans une main et le Manurhin dans l’autre.) - Tu parles ! Une tension d’un mec de soixante balais, ouais, a dit le p’tit Roger ! - Le grand Roger, lui, son mot c’est : Brouettes ! Ça c’est son mot au Grand Roger, a rajouté Dédé en riant ! Les brouettes, moi j’les pousse, dit le grand Roger ! Quand il y en a un qui débarque, un ou une, je fais pas d’distingo ! Un ou une qui rentre ici et qui veut rien savoir, qui veut rien comprendre à rien, eh ben moi j’lui dis, Les brouettes, j’les pousse ! - Ça c’est son mot au grand Roger, a dit aussi le p’tit Roger ! (Le grand Roger, lui il est jamais malade. Sa femme, oui, elle est toujours malade. Mais le grand Roger, jamais. Et le p’tit Roger, lui, il est toujours à se plaindre.) - T’as pris tes gouttes, le p’tit Roger, demande le grand Roger ? Je m’suis permis de baisser ta radio, hein, car on se croirait dans un tecknival, ça la fout mal ! - C’est qui f’rait des rimes, le grand Roger, dit le p’tit Roger ! - T’as vu ta tenue pour aller à l’infirmerie ? - J’ai trop envie de pisser, dit le p’tit Roger. - Garde ta prostate bien pleine, p’tit Roger, dit le grand Roger ! - C’est dégueulasse, dit le p’tit Roger, toi t’as jamais d’problème ! C’est mal fichu, on devrait tous naître pareils ! (la sonnerie du téléphone résonne dans la brigade) - Oh oh oh, ça sonne dans l’bureau, dit Dédé ! - On est en mission, laisse pisser p’tit Roger ! Ah putain, i fait du zèle le p’tit Roger, dit le grand Roger ! - Surtout en intervention, le laisse jamais conduire, lui répond Dédé ! – Lui ? Tu rigoles ! Lui c’est Starky et Hutch ! Lui i double dans les virage et tout, le p’tit Roger, dit le grand Roger ! - Oh là là ! J’arrivais même pas à mettre la ceinture ! Y avait deux véhicules là-bas et juste pour une voiture dans l’fossé, j’ai risqué ma vie pour ça, dit Dédé ! – Nous on allait faire une patrouille, et pendant qu’on cassait la croûte à l’hôpital, lui il allait sauter les infirmières, dit le grand Roger ! Si tu tombes dans les pommes, tu dis pas que c’est nous, hein ! (P’tit Roger ne dit plus rien, il parle dans le combiné)… après les mecs i machinaient i machinaient, j’te dis pas !… mais ça c’est su, hein !… et on savait pas c’est qui qui bavait... mais p’tit à p’tit on leur a tiré les vers du nez !… et pis si tu tombes sur un con, hein, vaut mieux s’écraser… il sera sans arrêt derrière ton cul… et après il te casse… unité d’terrain et tout l’bastringue… - C’est des gens qui ont besoin de mettre des barrières, répond Dédé. Regarde Melon. Etienne Melon. - Melon-Me lèche ! Un suceur de première, Melon-Me lèche, dit le grand Roger ! C’est lui le pédé à roulette, comme dit le p’tit Roger, dit Dédé ! Etienne Melon, il est là, et tu l’tutoies… mais : c’est toujours lui qui commande, a dit le grand Roger ! - Faut qu’les gars l’comprennent, dit Gégé ! Les brouettes, moi, j’les pousse, dit le grand Roger ! Avec un peu d’souplesse, hein… Bon ! Allez !… C’est pas l’tout ! C’est l’heure, p’tit Roger, a dit le grand Roger ! On va chercher les croissants, p’tit Roger ?
La mort lui est tombée d’un coup. Sans prévenir. Il ne savait pas qu’il mourrait comme ça. Mais beaucoup d’autres avant lui avaient déjà ressentis la même chose. On sait bien souvent pas qu’on meure, disait-il. Mais on y pense, on pense à ce moment-là tous les jours, en tout cas lui il avait beaucoup pensé durant sa vie à sa mort. Il se demandait si après il y avait quelque chose de particulier. Si c’était vrai qu’on allait au ciel, ou bien qu’on était changé en animal. Il n’aurait pas voulu être changé en tique, par exemple. Pourtant les tiques connaissent un essor démographique sans précédent. C’est sa femme qui lui avait sorti ça au petit déjeuner. Lui il n’avait pas vraiment tranché sur la question. Parfois il se disait que devenir une tique était somme toute la bonne option à prendre. Sa femme lui avait lu un texte sur la pensée des tiques. Elle lui parlait aussi des esprits. L’esprit des tiques, mais pas que de ça, toutes sortes d’esprits. Ils étaient venus de loin sur terre ces esprits. C’était comme des animaux. Des esprits animaux. Des sortes de gros tiques extraterrestres. Et ces étranges bêtes étaient poursuivies depuis les confins de l’univers. Elles n’avaient pas l’esprit tranquille, alors elles ont rappliqué ici dare dare, depuis le fin fond du cosmos elles sont venues se calfeutrer dans la vie. Elles pensaient s’en tirer à bon compte, mais des millénaires après être venues se planquer, elles craignaient toujours des représailles. C’est pour ça que les vivants ne sont pas des êtres tranquilles, surtout les humains, lui disait sa femme. Les humains sont des êtres flippés parce que des bêtes sont à l’intérieur. Des bêtes se cachent dedans eux. Elles se planquent dans le vivant en attendant que ça passe, lui avait-elle appris. Mais rarement ça nous passe d’être un humain, pensait-il. Rarement ça nous passe d’être un vivant humain ! On aimerait bien ! On aimerait se passer de vivre ! Vivre en humain. On aimerait bien son humain, mais mort. On aimerait sa vie, mais morte. La vie humaine morte, c’est ça qu’on aimerait bien. Toute la vie humaine, c’est là-dessus qu’il nous faut maintenant plancher, sur la vie humaine qui est morte. Ou qui va le faire, qui va décamper au plus vite, pour trouver son désarroi ailleurs. Ailleurs que sous les traits d’un humain. Que l’âme humaine file ailleurs, dans un trou par exemple. Dans le tout grand premier trou de la vie. Le moment où la vie est sortie dans l’espace. Quand c’était des bêtes qui vivotaient. Le tout premier vivotant qu’on a appelé dieu. Dieu le microbe. Dieu qui se passait de vivre, tellement il était peu là. En tout cas, dieu a vécu sans air et sans eau. Il a fallu qu’il invente l’air et l’eau, dieu. Il a fallu qu’il invente la vie, pour qu’on vienne vivre dedans, dieu. Vivre, c’est-à-dire barboter. Qu’on barbote dans le vivant, comme des poissons dans l’eau. Qu’on commence notre vie de vivant dans l’eau puis l’air. Qu’on soit à l’air libre des vivants, mais des vivants par dépit. Qu’on vive par dépit dans les espaces que dieu nous a refilés, comme des microbes. Les mauvais plans de dieu. Il nous a refilé ses microbes, dieu ! Dieu le microbien, il a fait tout ça pour notre bien !
Vous vous entêtez !
Vous êtes des entêtés!
Vous vous entêtez à naître, hein !
C’est ça ?
Vous vous entêtez à vivre ?
Naître, puis vivre ?
Vous êtes des entêtés !
Vous avez une sacrée caboche
À vouloir ainsi exister
Être dans la vie
Être jeune, puis vieillir
Vous êtes sacrément gonflés, non ?
Vous vous croyez où, là !
Vous en tenez une bonne !
Ça va bien les mollets ?
Et les chevilles, ça roule !
Ça va la p’tite gonflette ?
La p’tite gonflette dans la p’tite tête !
Ça y est !
Vous vous croyez où !… chez mémé ?
Vous vous croyez où, à vouloir naître ainsi !
Et vivre !
À la va-que-j’te-pousse, Hein !
Vous en tenez une solide, ma parole !
Vous manquez pas d’air, tiens !
Manquez pas d’air !
Il est flic, il fait sa communion. On lui fait cadeau d’un magnétophone. Il enregistre tout le monde. Tonton Aimé chante une chanson pendant la communion, ainsi que Tante Ray qui chante Le temps des cerises. Tonton Gérard pelote les seins. Tonton Jean caresse les cuisses. Tonton Henri fume du gris avec tante Francine et tante Charlotte. Tante Marthe rigole et dit C’est pas dieu possible. Il est flic il a onze ans il enregistre la télé. Il enregistre les chansons du film Help et il se met face au mur de la cuisine. Il est maintenant face au mur et met en route le magnétophone pour faire Help. Il est flic, il chante Help devant le mur de sa cuisine.
Nous venons des voix qui habitent un pays sans nous.
Nous venons tous du paysage. Nous y sommes nés. Nous y revenons, toujours. Nous venons d’un pays qui nous fait revenir, car nous le cherchons, nous nous cherchons en lui. Nous cherchons en nous-même, avec nos mains. Nos doigts dans les mains. C’est avec ça qu’on fait remonter le pays. Avec les yeux et les mains les paysages remontent. Nous les creusons aussi avec nos oreilles, comment les paysages nous ont parlés dans l’oreille. Nous ne venons que d’un seul d’entre eux, celui qui a le plus parlé. Il a plus parlé que d’autres à nos mains, nos yeux, nos oreilles et nos pieds aussi. Nous cherchons le paysage maintenant avec notre voix. Mais nous ne sommes pas de notre voix. Nous ne venons pas de nous-même mais des voix. Notre voix. Celle qui nous a su nous déshabiter de tout pays.
nous sommes
tous nés
dans un en
droit un petit en
droit pas toujours
très droit un peu pen
tu l’en
droit nous y a
vons vé
cu dans l’en
droit pas d’é
querre nous ne pou
vons être trop d’é
querre ni te
nir debout vrai
ment en nous
tenir de
bout dans n’imp
orte quel che
min qui mè
ne à nous