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Il est flic

J’ouvre ce vieux dictionnaire de 1909, avec le buste de Pierre Larousse, je tombe sur Politique. Qu’est-ce qu’il fout là lui ? Et moi ? Qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour tomber sur Politique ? Et juste avant, c’est Policier. On est bien mal tombé. Qu’est-ce qu’il foutait donc avec Politique et Policier ? C’est ce qu’on lui demande souvent. Pourquoi il s’est engagé, Per-Jakez ? Comment il a pu faire un truc pareil, car on le voit comme un politique, un écrivain politique, un poète d’avant-garde. Qu’est-ce qu’un artiste en uniforme de flic ? C’est ça qu’on lui demande tout le temps. Per-Jakez écrivait ses pamphlets en uniforme bien souvent. Il notait sa rage dans des poèmes dans son ordinateur, juste à côté de son képi militaire. Il ne s’occupait pas forcément de politique, il faut bien se l’avouer tout de même. Ou un peu, comme tout le monde. La politique c’est comme la musique. Quand vous demandez les goûts musicaux à quelqu’un, il dira toujours, Oh moi, vous savez, j’écoute un peu d’tout. Et lui aussi c’était la politique d’un peu d’tout. A la télé, à la radio, dans les journaux. La politique-spectacle en quelque sorte. Et ça le dégoûtait un peu. Tous les jours, la politique infusée goutte à goutte dans le quotidien des gens. La politique, c’est comme le tarot dans les bus, faut avoir des bons atouts. Car souvent il était dans le car, jusqu’à ce que le cortège de la manif passe devant l’escadron. Mais là, il en manquait des atouts et surtout des bouts, quand il s’était fait convoquer par le capitaine. Le major avait dit au capitaine que c’était dans le journal. Le titre de l’article faisait jaser à la direction, puis après ça redescendait. Ça monte vers les huiles de là-haut et ça finit toujours par redescendre. Alors le major avait pris l’appel. C’était la direction, à Paris. Il fallait de suite réagir. Il y avait la photo de Per-Jakez dans l’article, avec aussi un titre. Tout était écrit noir sur blanc. Le journaliste avait voulu frapper les imaginations. Ça tombait bien l’imaginaire en plus, ça parlait de poésie, et non de politique. J’ai dû me tromper dans le dictionnaire. J’aurais du tomber sur Poésie. Son collègue était cependant venu l’engueuler vertement. C’était le p’tit Roger. Pour lui ça n’était sûrement pas ça la poésie. Limite qu’il défonçait la porte du bureau le p’tit Roger. C’était le bureau du décompteur. Il décomptait encore des mots à cette heure-là. Le p’tit Roger lui a dit, On s’est tous pris la honte au commandement. Ils ont dit, Il est chez vous le flic poète ? Mais Per-Jakez n’a pas eu le temps de rétorquer. Il lui fallait décompter. Puis ensuite il y a eu ce meurtre. Alors ils se sont mis à chercher le meurtrier. Ils ne savaient pas où trouver le meurtrier. Peut-être ils étaient plusieurs à avoir tué. Il fallait coûte que coûte le retrouver qu’ils se disaient dans la brigade. Tout le monde voulait la peau du meurtrier. À moins qu’ils soient plusieurs. Personne savait vraiment combien ils pouvaient être. Il a peut-être agi seul ? Mais il avait à coup sûr des complices. Il y avait peut-être un tout premier meurtrier et les autres sont venus après ? Ils se sont mis à plusieurs sur le cadavre, mais chacun son tour. Ils ont pris leur temps pour le tuer. Il est peut-être mort tout de suite, mais les autres ne le savaient pas. Ils ont continué à le tuer, en fait. Alors qu’il était déjà mort. Ils ont tué par ignorance. Ce sont des meurtriers ignorants. C’est ce que tout le monde se disait dans la caserne. Il fallait se mettre à les rechercher. Personne ne sait combien ils étaient à vouloir connaître les meurtriers ignorants. Peut-être que Per-Jakez était tout seul ? Non, il n’était pas le seul. Mais lui-même l’ignorait. Jusqu’à ce qu’il entende quelqu’un dire qu’il lui ferait bien la peau. C’était le p’tit Roger. Il a dit, Où se trouve donc cet enfant de putain ? - Les enfants de putains courent les rues, a répondu le grand Roger. Puis le p’tit Roger a dit, Pas tous les enfants de putains. - Certes, il y a des enfants de putains qui ne courent plus les rues, a rétorqué le grand Roger. Mais il y a au moins un enfant de putain qui les court en ce moment-même, et il nous faut courir après l’enfant de putain qui court les rues en ce moment-même. - On ne sait pas qui il est, a dit Per-Jakez. Le grand Roger l’a regardé longtemps. Très longtemps le grand Roger a regardé Per-Jakez, comme s’il ne l’avait jamais vu. Mais c’est lui Per-Jakez qui ne l’avait jamais vu. Et lui il n’avait jamais fait attention à Per-Jakez, alors c’est pour ça qu’il l’a regardé longtemps. Per-Jakez lui a dit, Je sais de quoi j’cause. Et lui aussi il savait de quoi il causait. Tout le monde savait bien que ça causait du meurtrier. Personne ne pouvait d’ailleurs faire autrement, tout le monde était sur l’affaire. Même ceux qui revenaient de l’infirmerie, ils étaient déjà sur le coup. - Vous êtes pas partis à la visite vous autres, qu’ils leurs disaient ? Vous êtes pas allés faire pipi dans l’bocal ? À Dédé elles lui ont dit, Tu prends le bocal et tu pisses dedans. Et après tu le vides et tu le rinces. - A moi, elles m’ont fait pisser comme ça deux fois de suite. - Tu parles d’une conversation, a dit le p’tit Roger ! - Ah ça on peut dire que vous avez de la conversation, a dit le grand Roger. - Et le p’tit Roger il a pris ses gougouttes au moins, a demandé Dédé ? - Va te faire foutre, espèce de pédé à roulette, a dit le p’tit Roger. - Ça c’est son mot, pédé à roulette, a dit le grand Roger ! - Il est sans arrêt derrière mon cul, l’autre là ! Il est sans cesse derrière mon cul, le grand Roger, a dit le p’tit Roger ! – Moi, j’ai une tension d’jeune homme, moi monsieur, a dit le grand Roger ! (Il avait son holster dans une main et le Manurhin dans l’autre.) - Tu parles ! Une tension d’un mec de soixante balais, ouais, a dit le p’tit Roger ! - Le grand Roger, lui, son mot c’est : Brouettes ! Ça c’est son mot au Grand Roger, a rajouté Dédé en riant ! Les brouettes, moi j’les pousse, dit le grand Roger ! Quand il y en a un qui débarque, un ou une, je fais pas d’distingo ! Un ou une qui rentre ici et qui veut rien savoir, qui veut rien comprendre à rien, eh ben moi j’lui dis, Les brouettes, j’les pousse ! - Ça c’est son mot au grand Roger, a dit aussi le p’tit Roger ! (Le grand Roger, lui il est jamais malade. Sa femme, oui, elle est toujours malade. Mais le grand Roger, jamais. Et le p’tit Roger, lui, il est toujours à se plaindre.) - T’as pris tes gouttes, le p’tit Roger, demande le grand Roger ? Je m’suis permis de baisser ta radio, hein, car on se croirait dans un tecknival, ça la fout mal ! - C’est qui f’rait des rimes, le grand Roger, dit le p’tit Roger ! - T’as vu ta tenue pour aller à l’infirmerie ? - J’ai trop envie de pisser, dit le p’tit Roger. - Garde ta prostate bien pleine, p’tit Roger, dit le grand Roger ! - C’est dégueulasse, dit le p’tit Roger, toi t’as jamais d’problème ! C’est mal fichu, on devrait tous naître pareils ! (la sonnerie du téléphone résonne dans la brigade) - Oh oh oh, ça sonne dans l’bureau, dit Dédé ! - On est en mission, laisse pisser p’tit Roger ! Ah putain, i fait du zèle le p’tit Roger, dit le grand Roger ! - Surtout en intervention, le laisse jamais conduire, lui répond Dédé ! – Lui ? Tu rigoles ! Lui c’est Starky et Hutch ! Lui i double dans les virage et tout, le p’tit Roger, dit le grand Roger ! - Oh là là ! J’arrivais même pas à mettre la ceinture ! Y avait deux véhicules là-bas et juste pour une voiture dans l’fossé, j’ai risqué ma vie pour ça, dit Dédé ! – Nous on allait faire une patrouille, et pendant qu’on cassait la croûte à l’hôpital, lui il allait sauter les infirmières, dit le grand Roger ! Si tu tombes dans les pommes, tu dis pas que c’est nous, hein ! (P’tit Roger ne dit plus rien, il parle dans le combiné)… après les mecs i machinaient i machinaient, j’te dis pas !… mais ça c’est su, hein !… et on savait pas c’est qui qui bavait... mais p’tit à p’tit on leur a tiré les vers du nez !… et pis si tu tombes sur un con, hein, vaut mieux s’écraser… il sera sans arrêt derrière ton cul… et après il te casse… unité d’terrain et tout l’bastringue… - C’est des gens qui ont besoin de mettre des barrières, répond Dédé. Regarde Melon. Etienne Melon. - Melon-Me lèche ! Un suceur de première, Melon-Me lèche, dit le grand Roger ! C’est lui le pédé à roulette, comme dit le p’tit Roger, dit Dédé ! Etienne Melon, il est là, et tu l’tutoies… mais : c’est toujours lui qui commande, a dit le grand Roger ! - Faut qu’les gars l’comprennent, dit Gégé ! Les brouettes, moi, j’les pousse, dit le grand Roger ! Avec un peu d’souplesse, hein… Bon ! Allez !… C’est pas l’tout ! C’est l’heure, p’tit Roger, a dit le grand Roger ! On va chercher les croissants, p’tit Roger ?

La mort lui est tombée d’un coup. Sans prévenir. Il ne savait pas qu’il mourrait comme ça. Mais beaucoup d’autres avant lui avaient déjà ressentis la même chose. On sait bien souvent pas qu’on meure, disait-il. Mais on y pense, on pense à ce moment-là tous les jours, en tout cas lui il avait beaucoup pensé durant sa vie à sa mort. Il se demandait si après il y avait quelque chose de particulier. Si c’était vrai qu’on allait au ciel, ou bien qu’on était changé en animal. Il n’aurait pas voulu être changé en tique, par exemple. Pourtant les tiques connaissent un essor démographique sans précédent. C’est sa femme qui lui avait sorti ça au petit déjeuner. Lui il n’avait pas vraiment tranché sur la question. Parfois il se disait que devenir une tique était somme toute la bonne option à prendre. Sa femme lui avait lu un texte sur la pensée des tiques. Elle lui parlait aussi des esprits. L’esprit des tiques, mais pas que de ça, toutes sortes d’esprits. Ils étaient venus de loin sur terre ces esprits. C’était comme des animaux. Des esprits animaux. Des sortes de gros tiques extraterrestres. Et ces étranges bêtes étaient poursuivies depuis les confins de l’univers. Elles n’avaient pas l’esprit tranquille, alors elles ont rappliqué ici dare dare, depuis le fin fond du cosmos elles sont venues se calfeutrer dans la vie. Elles pensaient s’en tirer à bon compte, mais des millénaires après être venues se planquer, elles craignaient toujours des représailles. C’est pour ça que les vivants ne sont pas des êtres tranquilles, surtout les humains, lui disait sa femme. Les humains sont des êtres flippés parce que des bêtes sont à l’intérieur. Des bêtes se cachent dedans eux. Elles se planquent dans le vivant en attendant que ça passe, lui avait-elle appris. Mais rarement ça nous passe d’être un humain, pensait-il. Rarement ça nous passe d’être un vivant humain ! On aimerait bien ! On aimerait se passer de vivre ! Vivre en humain. On aimerait bien son humain, mais mort. On aimerait sa vie, mais morte. La vie humaine morte, c’est ça qu’on aimerait bien. Toute la vie humaine, c’est là-dessus qu’il nous faut maintenant plancher, sur la vie humaine qui est morte. Ou qui va le faire, qui va décamper au plus vite, pour trouver son désarroi ailleurs. Ailleurs que sous les traits d’un humain. Que l’âme humaine file ailleurs, dans un trou par exemple. Dans le tout grand premier trou de la vie. Le moment où la vie est sortie dans l’espace. Quand c’était des bêtes qui vivotaient. Le tout premier vivotant qu’on a appelé dieu. Dieu le microbe. Dieu qui se passait de vivre, tellement il était peu là. En tout cas, dieu a vécu sans air et sans eau. Il a fallu qu’il invente l’air et l’eau, dieu. Il a fallu qu’il invente la vie, pour qu’on vienne vivre dedans, dieu. Vivre, c’est-à-dire barboter. Qu’on barbote dans le vivant, comme des poissons dans l’eau. Qu’on commence notre vie de vivant dans l’eau puis l’air. Qu’on soit à l’air libre des vivants, mais des vivants par dépit. Qu’on vive par dépit dans les espaces que dieu nous a refilés, comme des microbes. Les mauvais plans de dieu. Il nous a refilé ses microbes, dieu ! Dieu le microbien, il a fait tout ça pour notre bien !

 

Vous vous entêtez !

Vous êtes des entêtés!

Vous vous entêtez à naître, hein !

C’est ça ?

Vous vous entêtez à vivre ?

Naître, puis vivre ?

Vous êtes des entêtés !

Vous avez une sacrée caboche

À vouloir ainsi exister

Être dans la vie

Être jeune, puis vieillir

Vous êtes sacrément gonflés, non ?

Vous vous croyez où, là !

Vous en tenez une bonne !

Ça va bien les mollets ?

Et les chevilles, ça roule !

Ça va la p’tite gonflette ?

La p’tite gonflette dans la p’tite tête !

Ça y est !

Vous vous croyez où !… chez mémé ?

Vous vous croyez où, à vouloir naître ainsi !

Et vivre !

À la va-que-j’te-pousse, Hein !

Vous en tenez une solide, ma parole !

Vous manquez pas d’air, tiens !

Manquez pas d’air !

 

Il est flic, il fait sa communion. On lui fait cadeau d’un magnétophone. Il enregistre tout le monde. Tonton Aimé chante une chanson pendant la communion, ainsi que Tante Ray qui chante Le temps des cerises. Tonton Gérard pelote les seins. Tonton Jean caresse les cuisses. Tonton Henri fume du gris avec tante Francine et tante Charlotte. Tante Marthe rigole et dit C’est pas dieu possible. Il est flic il a onze ans il enregistre la télé. Il enregistre les chansons du film Help et il se met face au mur de la cuisine. Il est maintenant face au mur et met en route le magnétophone pour faire Help. Il est flic, il chante Help devant le mur de sa cuisine.

Nous venons des voix qui habitent un pays sans nous.

 

Nous venons tous du paysage. Nous y sommes nés. Nous y revenons, toujours. Nous venons d’un pays qui nous fait revenir, car nous le cherchons, nous nous cherchons en lui. Nous cherchons en nous-même, avec nos mains. Nos doigts dans les mains. C’est avec ça qu’on fait remonter le pays. Avec les yeux et les mains les paysages remontent. Nous les creusons aussi avec nos oreilles, comment les paysages nous ont parlés dans l’oreille. Nous ne venons que d’un seul d’entre eux, celui qui a le plus parlé. Il a plus parlé que d’autres à nos mains, nos yeux, nos oreilles et nos pieds aussi. Nous cherchons le paysage maintenant avec notre voix. Mais nous ne sommes pas de notre voix. Nous ne venons pas de nous-même mais des voix. Notre voix. Celle qui nous a su nous déshabiter de tout pays.

 

nous sommes

tous nés

dans un en

droit un petit en

droit pas toujours

très droit un peu pen

tu l’en

droit nous y a

vons vé

cu dans l’en

droit pas d’é

querre nous ne pou

vons être trop d’é

querre ni te

nir debout vrai

ment en nous

tenir de

bout dans n’imp

orte quel che

min qui mè

ne à nous

Il est flic

Il est flic. Il prend sa moto. Il monte dessus et il roule. Il rentre dans la caserne. Il gare sa moto. Il ne sait plus où sont les mots. Les vrais. Ceux qu’on devrait employer. Il ne sait pas. Parfois il dit Gare, parfois il Range. Il sait pas trop. Quel est le meilleur des mots, il doute. Il dit comme sa mère qui ne savait pas trop les mots. Sa mère connaissait des mots, mais pas les bons. C'était jamais les bons mots qu’elle disait. Il faudrait connaître les bons mots pour une fois. Un jour, se dit-il, un jour je connaîtrais les bons mots. Pas comme ma mère qui connaissait que les mauvais. Ma mère avait toujours un mauvais mot pour lui. C'était lequel déjà. Il ne se souvient plus. Quand il ne se souvient pas d'un mot, c'est mauvais signe. Ça veut dire qu'il a changé quelque chose dans son mode opératoire. C'est comme un criminel. Un criminel dans la police. Un criminel dans les mots. Il a ses modes opératoires qui diffèrent. Il oublie les mots quand ça va mal. Quand ça ne va pas trop bien, il sait plus rien. Et quand ça va trop bien, il connait le bon mot, mais c’est louche. Et là ça allait mal entre lui et sa mère. Il avait fait une connerie et sa mère avait utilisé un mot pour le décrire. Elle avait lancé ça comme un coup de ceinturon. Ou plutôt comme une serpette. On entendait le mot cingler dans l’air. Il fendait l’air et l’esprit ce mot qu’avait jeté sa mère. Elle lui avait lancé en plein visage. Ça lui collait dans la tête, mais à force ça s’est décollé. Il ne savait plus le mot qu’elle avait prononcé. Sa mère avait lancé un mot comme un lanceur de couteau, et sans qu’il s’y attende il avait reçu cette étoile de Ninja en plein front. Elle s’était peut-être trompée de mot, mais en fait elle avait utilisé le bon. C’était le bon mot pour le tuer, lui, même si c’était injuste, tout à fait disproportionné. Sans doute lui avait-elle balancé un Petit sadique, ou quelque chose dans le genre, sans qu’il ne puisse rien dire, rien penser. Il pensait à ça, cette erreur de définition qui avait marqué son correspondant. Ce n’était pas comme cet écrivain qui cherchait aussi le bon mot, mais ne le trouvait pas et ne se serait pas aventuré à en balancer un autre au lecteur lambda. L’écrivain avait perdu le mot, il le cherchait depuis le début de son livre et personne ne pouvait l’aider. On a fini par savoir que c'était le nom d'un communiste. Il avait oublié le nom, parce que lui n'était plus communiste, ou alors il était encore communiste mais avait maintenant une vie de bourgeois. Un bourgeois qui boit du Chianti d’après l’auteur du livre. Et les bourgeois qui boivent du Chianti ne peuvent plus se souvenir du nom d'un communiste. Peuvent-ils même se souvenir du mot communisme. Le mot communisme est pour eux un vieux nom oublié

Il rentre dans sa caserne. Il est flic. Il a un collègue. Le collègue s'enferme dans le local des archives où il y a la machine à café. Le collègue s'enferme avec sa collègue. Le collègue boit le café avec la collègue dans la salle où il y a la machine à café. C’est aussi l'endroit où on fait les PVR. Le PVR ça veut dire Pain-Vin-Rillettes. C'est une région où on fait des rillettes. Le collègue blague devant sa collègue, il dit que dans cette région il y a des champs de rillettes à perte de vue. Lui et sa collègue doivent amener le PVR pour toute la brigade. La brigade tous les vendredis matin à 10 heures attend le Pain-Vin-Rillettes. Et lui et sa collègue, avant d'aller chercher les rillettes et le pain et le vin au supermarché, ils passent chez lui et lui il montre la chambre à coucher à sa collègue. La chambre où ils dorment, lui et sa femme. Et là le collègue il veut coucher avec elle, mais ils n’osent pas. Et puis après ils vont chercher le PVR pour les collègues. Les collègues trouvent qu'ils mettent trop de temps pour amener le PVR. Les collègues s’impatientent. Tous les vendredis matin c'est le PVR, à 10 heures tapante. A 10h la brigade fait une pause. Au PVR tout le monde boit du vin, mange du saucisson et des rillettes. Il y a aussi des cornichons. Tout le monde prend du fromage avec du pain et discute. C’est comme ça tous les vendredis. Tous les vendredis c’est PVR le matin et grand nettoyage des bureaux l’après-midi. Tout le monde est détendu et en tenue de sport. Et tous les vendredis c'est le collègue et la collègue qui vont chercher le PVR et qui passent avant chez lui pour regarder le lit de la chambre où lui il dort avec sa femme. Sa collègue regarde longuement le lit et lui il regarde longuement sa collègue, puis ils vont chercher le PVR et arrivent en retard. Les collègues s’impatientent. Le capitaine s'enferme ensuite dans son bureau. Après le PVR le capitaine s’enferme dans son bureau pour dégueuler. Les autres vont bouffer au mess des sous-officiers. Tout le monde va au mess et en passant demande au capitaine s’il vient manger. On va tous manger au mess, capitaine, vous venez au mess ? Ils entendent le capitaine dégueuler à sa fenêtre. Les collègues toquent à la porte du capitaine. Ils lui disent qu’ils vont tous manger au mess, ce qui le fait encore plus dégueuler. Il est coincé dans son bureau. Tout le monde écoute à la porte et l’invite au mess. Tout le monde rigole discrètement. Le capitaine leur dit qu'il préfère rester dans son bureau. Tout le monde entend dégueuler le capitaine. Il a trop mangé de pvr et surtout bu trop de vin et pas que du vin, mais aussi du ricard. Le capitaine fait des mélanges et il n’a pas l’habitude, les sous-officiers l’ont piégé, alors après il part dégueuler dans son bureau pendant que les autres rigolent au mess. Nous ne pouvons plus être des communistes car nous sommes des malades. Nous sommes malades de nos années. Toutes nos années sont des années de malades. Nos années 2000 et nos années 90. Nous sommes malades de toutes ces années et de toutes les autres. Nous sommes malades des années 80. Nous regrettons les années 80. Nous regrettons les années 70. Nous sommes malades des années 2010. Des années 90 80 et 70. Nous sommes malades des années 60. Nous sommes des grands malades des années 50. Nous avons toujours été des malades, car nous regrettons les années de notre asservissement. Nous avons été asservis pendant des années et nous regrettons cet asservissement.

1er problème

Le problème est que les corps s’entassent, qu’ils veulent ça, l’entassement, que les corps se rassemblent et puent. C’est le problème de la nuit qui nous guette avec la promesse de l’entassement. On reste coincé dans le corps, plus moyen de sortir, plus moyen de dégager un bout d’existence. Le problème est que les artistes n’ont rien sauvé de leur existence, à part des œuvres, mais les œuvres montrent la mort. Leur mort. Le problème c’est que pas un seul artiste n’a réussi à survivre à l’existence. Pas un seul dans toute l’histoire. Vous pouvez me croire ou non mais c’est vrai. Il n’y a pas un seul artiste qui a survécu à la vie et à son existence. Alors on dit : « oui, certes, mais il y a les œuvres ! ouf ! » Et c’est pour ça que le problème suivant est que nous rentrons dans une forme d’ordre qui est l’ordre des spectateurs, l’ordre suprême pour l’oubli de soi et où l’homme se prosterne devant l’artiste. C’est l’institution des artistes qui a inventé l’ordre du spectateur pour que l’homme se tienne bien tranquille. Alors que chaque personne du public qui rentre au spectacle devrait rentrer avec tous ses problèmes, et notamment celui qui est que son corps l’entasse, que son corps à décidé l’entassement de lui-même depuis qu’il est né. Depuis sa naissance, le spectateur est dans un corps et ce corps est son étouffement. Depuis que nous sommes nés nous sommes destinés au spectacle de notre pourrissement dans un corps. Le corps est un enfermement. Et c’est l’un des premiers problèmes qui devraient secouer toute personne entrant à l’œuvre, il faut rentrer dans l’œuvre avec tous les problèmes liés à l’existence, tous les problèmes quotidiens, il ne faut pas tomber la veste des problèmes quotidiens, il faut les poursuivre. Et aussi indiquer, dénoncer, le simple fait que lui aussi, l’artiste, est mort avant l’œuvre. Lui aussi, l’artiste, va se retrouver coincé dans un corps, le souffle écrasé par des organes. Comment après s’agenouiller devant l’artiste, c’est-à-dire s’asseoir et l’écouter patiemment alors que de tous les temps, nous ne pouvons observer chez lui le moindre pourcentage de réussite face à la mort. Tout le monde doit rentrer avec ses problèmes, tout un chacun rentre ici avec ses préoccupations les plus diverses, sa vie la plus diversifiée, tous doivent être vraiment en lieu concerné et non au spectacle. La vraie écoute peut se faire à ce moment-là, parce qu’à ce moment-là nous ne glissons pas dans l’imposture, nous ne sommes pas dans les postures, nous sommes concernés tout autant que l’artiste par les problèmes de vie. La vie pose un problème. La vie est un problème qui peut être lié à l’art, tout comme à la pensée. Seulement, la pensée seule ne va pas. La pensée des intellectuels est souvent trop sèche, la pensée est sèche et du coup, à chaque fin de phrase d’une pensée de philosophe, le cri voudrait se faire, le cri est dû à l’étouffement des pensées des philosophes qu’ils ont traduit en phrase. L’étouffement se traduit. La phrase éteint la pensée. Alors que la pensée n’est pas dans la phrase uniquement. La pensée est aussi une bosse et un cri et qu’il n’y a pas de phrases qui permettent de traduire l’impossible respiration. Les bonnes fabrications, les tournures de phrases sont des enfermements de la chose respirée. Elles bloquent la respiration et le roulement de la pensée à travers des mots enchevétrés et écrasés, sans constuction. Les phrases des pensées sont comme des enfermements de corps. Elles sont des organes qui empêchent la libre circulation de la pensée dans la vie. Il faut des cris de philosophes, il faut pouvoir penser à partir de la douleur et du rire philosophique et non, par exemple, de sa définition du rire. La pensée est quelque chose qui se veut libre et en dehors du cadre très serré, en dehors du corset sectaire de la philosophie, la pensée veut aussi le chant mais sorti, le chant sorti et qui aurait déjà trop subi tous les encombrements de corps. Les encombrements de corps sont les mains et la langue. La voix. La voix, la langue et les mains sont les encombrements de la pensée. Alors, la pensée peut s’amuser. La pensée peut jouer avec le cri et avec les gestes dans tous les sens pour traduire son existence et s’échapper du corps. La pensée joue avec le corps pour le laisser retomber ensuite et profiter de l’élan pour sauter dans l’air. Elle joue du corps mais le laisse finalement à ses propres encombrements. Car la pensée est ce qui réclame le plus d’air. La pensée est ce qui réclame la respiration à outrance et aussi le jet vers le dehors, le saut, l’expulsion du sensible au dehors. Sensible, qui veut dire : j’ai pris suffisamment de coups dans la gueule pour vouloir et pouvoir, pouvoir et vouloir sauter dans le vide. Le saut dans le vide de la pensée grâce à tout ce qui est possible de faire avec tous les encombrements de corps et les coups de pied au cul de l’existence. La pensée c’est des bosses et des coups dans la gueule par la vie. C’est aussi le ramassement de l’intérieur pour un soulèvement possible hors du corps. Grâce à tout ce qui forme le corps, à son côté empaté et impossible. Grâce à toute la finesse écrasée des organes. Finesse et écrasement, entre les deux la pensée circule et s’échappe. Le chant est une forme d’échapée du corps, tout comme le geste, les gestes dans tous les sens, les sens répartis dans le corps, les sens qui provoquent la respiration de ce corps, jusqu’au moment où celui-ci décidera, d’un commun accord avec lui-même, qu’il faudra tout ratatiner dans la mort.

3 affiches (faites pour une expo avec Pascal Doury, vers les années 99 - 2000)

livres parus récemment (faire défiler les images)

- C'est la ponctu. Aux éditions Fragments du bord du monde en septembre 2024. Ecole supérieure des beaux-arts de Nîmes. 10 Grand'rue 30000 Nîmes. Prix 5 euros. ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Vague lente. Couverture en sérigraphie et trois textes imprimés en typo. Achevé d'imprimé en juin 2024 à l'Atelier des 13 vents à Perpignan. ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Dedans. Réédition aux Presses du réel, collection Al Dante. 2eme semestre 2024. Prix 17 euros. ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Petite bande, éditions P.O.L en mai 2023. 29,90 euros.