Il faudrait rien leur dire, rien leur passer. Rien leur dire mais rien leur passer quand même. Car ils & elles veulent la peau au langage. Le petit langage qui traîne dans les ruettes. Les voyettes. Rien leur raconter du petit langage qui sort d’ici ou là, car ils & elles le méprisent. Ils & elles meprisent tout le parler petit. Toute la misère langagière, ils & elles n’en ont que faire, elles & ils préfèrent parader avec leurs grosses bottes du parler, le beau parler des villes qu’ils & elles transposent à la campagne. Car elles & ils ont gagné les campagnes après avoir gagné les villes. Ils et elles ont saturé les villes de mots, de pensées. Toutes les pensées de ville, pensées de livres qu’elles & ils ressortent pour apprendre le bien parler. Elles & ils parlent du lisier mais avec le langage des livres, la langue du beau parler qu’elles & ils sortent des conférences. Ce sont des poètes conférenciers. Des poètes de la culture cultivée. Des poètes sociologiques. Elles & ils font socio et logiques et viennent parler des paysans aux paysans. Ils & elles parlent à la place des paysannes et des paysans. Elles & ils parlent à la place de leurs parlers. Ils & elles se disent paysannes ou paysans responsables. Eco-responsables. Eco-poètes. Poétesses & poètes avec des feuilles dans les cheveux et une langue à la Bourdieu. Elles & ils ont toujours eu des bonnes notes dans leurs lycées privés. Elles et ils ne viennent pas de lycées agricoles. Mais elles & ils viennent donner des leçons aux agriculteurs. Aux femmes d’agriculteurs. Aux arriérés qui parlent mal. Mal éduqués. Mal fringués. Rustres. Bouffeurs de saucisses. Chasseurs de gibiers. Bouffeuses de viandes. Viandardes et viandards. Qu’elles & ils crèvent tous dans leurs bagnoles. Qu’ils & elles arrêtent de polluer la campagne, la mer. Qu’ils & elles explosent avec leurs fermes industrielles. Qu’on les remembre de paroles instruites, éduquées, poétiques.
Les choses étaient plutôt simples
On allait on venait
On partait chercher des oeufs
On rentrait dans une ferme
On demandait aussi du beurre
Il y avait des poules
même sur les tables de la cuisine il y avait des poules
Il y avait des mouches sur les chiens
La fermière barratait devant nous
On sortait la monnaie, puis on y allait
On remontait la rue, on allait à la porte
On sonnait pas. On rentrait
On s'asseyait. Ah c'est toi. Alors?
On faisait des sourires
On disait rien
On se mettait à table. On mangeait
C'était de la viande panée
Avec des trucs autour
Puis on sortait dans la cour
On jouait avec le chien
Puis les cousins venaient
Avec les cousines
On parlait un peu
Comment ça va et toi ?
On avait tous le sourire
On jouait encore avec le chien
On lançait des boules au loin
On portait des poids
On visitait le jardin
Ça poussait, on demande Et ça c'est quoi?
Ça c'est rien
De la mauvaise herbe
Puis on retournait dedans
Regarder un bout de télé
Ecouter la radio dans la cuisine
discuter dans la pièce
On mangeait un gâteau
C'était l'heure d'y aller
On repartait dans la rue
On faisait le tour du pâté
Direction le canal
Puis le cimetière
On voyait des fleurs
Beaucoup étaient fanées
On sortait du cimetière
pour regarder dans la petite chapelle
On voyait mal à cause du reflet
On allait sur le chemin pavé
On montait tout là-haut
On regardait en bas
Pour voir les voitures
On voyait aussi des arbres et des vaches
On traversait les pâtures
On redescendait au village
On montait un talus
On contournait les plaques
On allait sur la route
On prenait le chemin des écoles
On regardait le fossé
On remontait encore la rue
On voyait l'église avec les pins
Des gens allaient dans la rue
Ils faisaient des sourires
Ou alors ils gueulaient
On traversait le chemin de cailloux rouges
On contournait la maison
On rentrait par la buanderie
On disait rien
Tout le monde était devant la télé
On metait un casque
On écoutait la musique
On se levait pour manger
On regardait tous la télé
On allait aux toilettes un par un
On regardait par terre
On voyait un dessin dans les carreaux des toilettes
On ouvrait la petite fenêtre
On sentait le dehors
On allait dans la cour
Puis dans le jardin
On faisaitle tour
Puis on rentrait
Le père disait : Demain il fera jour
Et il ne sera pas plus compliqué
Le père mettra ses bottes
La mère aussi mettra ses bottes
Nous aussi on mettra nos bottes
Tout le monde aura ses bottes et on ira loin
Dans le jardin
On marchera encore plus loin
Dans les mottes de terre fraichement retournées
On écrasera les mottes
On ira aux champignons
On ira sur les chemins pavés
On ira vers le cimetière
On ira voir l'écluse
On ira à l'autre écluse
On passera sur le pont
On regardera en bas
On descendra du pont
Pour aller voir les chevaux
Les marais
Les étangs
On ira dans les bois
On ramassera du petit bois
Et on se fera tous tirer dessus
Comme des lapins
Lancement de la collection Fragments du bord du Monde
Culture, Bibliothèque, Conférence/Rencontre
Jeudi 26 septembre à 18h30, rencontre avec l'auteur du premier livre de la collection, Charles Pennequin, pour le livre, C'est la ponctu.
Bibliothèque Carré d'Art - Grand Auditorium (-1)
Entrée libre, sans réservation,
dans la limite des places disponibles.
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Charles Pennequin est poète. Il commence à écrire dans
les années 90 et s’intéresse très tôt à la poésie sonore.
Il explique que ses premières lectures étaient précipitées,
du fait de la tension qu’il ressentait face au public, de la peur
de lire. Cette rapidité, cette manière de précipiter le dire,
sont devenues peu à peu l’un de ses traits caractéristiques.
C’est la ponctu. est un texte inédit, premier ouvrage de la collection
«Fragments du bord du monde » édité en 2024 par l’ésban
(40 pages, 5€).
« Petite bande » est constitué d’un ensemble de textes, de poèmes, de phrases sur les doigts, les mains, les visages. « Petite bande » est formé d’écrits, souvent dessinés autour de profils « perdus ». « Petite bande », ce sont des dessins « écriturés », faits de binettes et de mots écrits à la main ou tapés à la machine. « Petite bande » est fait d’écrituries, d’échos de voix sur la montagne, de pensées projetées par les éléments, beaucoup de traits, de coups de feutre, de tracés au blanco sur des pages noires. Il est question de lumière, de formes ; ça questionne les dehors, les dedans. Le thème qui revient est celui de l’écriture, celle qui vient des dedans. Les paroles, elles, viennent des dehors. Les morts, eux, sont partout, qui parlent même en nous. Il est beaucoup question de corps aussi, de rire aussi, et de poésie. « Petite bande », c’est la poésie, la poésie qu’on lit ou qu’on regarde. « Petite bande » parle de l’écrivain, de l’artiste, à qui Charles Pennequin tente de rendre hommage, à travers des chapitres et des styles différents, et par des poèmes ou des dessins. Des dessins-poèmes.