On est amoureux que de soi, sauf quand on est amoureux. On se déteste soi, sauf quand on est amoureux. Quand on est amoureux on souffre. On voit l’autre et on souffre et quand on ne voit plus l’autre, on souffre encore. On est plus souffrant que de soi-même, car s’aimer soi-même c’est se souffrir, c’est s’endurer, c’est apprendre à faire avec soi. Quand on est amoureux on ne fait pas que de se souffrir, on souffre en l’autre. On laisse une place en soi pour souffrir de l’autre. On a une place en nous pour le souffrir lui, pour souffrir l’autre en le lui d’en nous. Pour l’endurer. C’est comme une chose qui gonfle. Ça nous emplit. C’est comme un ballon. On a à l’intérieur quelque chose qui grossit et ça nous fait souffrir. C’est comme un corps étranger et qui suinte en nous. Ça fait perdre des essences. Ça fait perdre l’essence de soi, l’essence de l’amour et de la détestation de soi qui suinte. L’essence de soi brunâtre qui suinte un bon bout de temps, comme un chancre, un poison qu’on fabrique en secret. C’est comme une pointe au cœur0. On ne peut plus courir. On ne peut plus aller à tel ou tel endroit. On est lourd. Tous les endroits sont chargés de l’autre. Tous les endroits ont été vus cent fois en nous. On porte une vraie pierre à l’intérieur. On est écrasé par cette pierre en forme d’éponge, mais une éponge qui aide à couler en soi. On se noie vers l’intérieur. Le corps est pris par cette entité. Le corps laisse trop de place. Le corps se vide à l’intérieur de cette entité qui forme une sorte de boule noire, un cercle sombre et respirant, une force noire qui nous attire dedans. L’esprit est aspiré. La force est dedans aussi. Tout nous pousse à aller vers l’amour et à tomber, comme on glisse dans un ravin. On se perd dedans. On ne voit plus rien autour. On entend des voix. On croit que l’autre est ici. On renifle son odeur. On recherche tellement le parfum qu’on n’est plus sûr de rien. On pisse dessus, mais c’est l’urine de tout le monde. Ça a le goût de tout le monde. On pourrait voir tout le monde. On pourrait être à tout le monde, même à un chien. Un chien aurait aussi son odeur à l’autre. Tout devient l’autre. On n’a plus d’intérieur. On est bouffé en soi par l’autre qu’on a fait grossir. Un autre soi qui a enflé, comme une tumeur. On a finit dans la tumeur en entier et on a cru que ce n’était pas nous, mais ce renflement d’autre. Ce renflement, ça n’était que nous. C’était un vrai nous, au fond. Au fin fond de la marmite, ça n’était qu’un mollusque. Une sorte de bête molle, comme un pagure. On a fait ainsi le bernard-lhermite en nous-même. Nous étions la coquille et son parasite. On s’est habité tout en croyant être avalé. On s’est fait enflé par nous-même. Notre désir de nous-même s’est inversé. Il s’est retourné. Il a formé un nœud. Le nœud de ce nous qui nous a coupé la chique.