Il est devant la télé. Il est allongé. Il voit la télé depuis son lit. Il s’appelle Max. Max regarde la chose qui est dedans. Cette chose vit en lui. Il est dans sa télé. Il la regarde. Il voit la femme. Il a rendez-vous avec une femme et c’est elle. C’est la femme, elle lui parle. Elle a des horaires normaux. Lui il la voit depuis son canapé. Il ne bouge pas du canapé. Il ne sait pas ce qu’il faudrait lui dire. Il lui annonce qu’il va s’en aller. Il va partir de la télé. Mais c’est elle qui part. Elle éteint la télé. Il n’a plus la télécommande. C’est la télécommande pour la lumière. La lumière venait du téléviseur, avec la femme. Il a un vieux poste comme dans les années 80 face à lui. C’est parce qu’on est dans les années 80 sûrement. On entend les familles qui s’engueulent. Les familles dans les années 80, c’est ce qu’on a fait de mieux. Les familles pour s’engueuler, on fait pas mieux en 80. Il prend une cassette, il aimerait la rembobiner. Tout ça c’est des mots des années 80. Il regarde les navets de cette époque, puis il se lève en écoutant la musique de l’époque. Il aime bien la bonne musique. C’est rare quand il écoute la bonne musique, pourtant il aime ça. Il se dit qu’il devrait être plus exigeant vis-à-vis de la musique, ou bien de lui-même, ou de la télé. On lui parle de sexe, mais il entend trop de familles s’engueuler. Il a rendez-vous avec un homme dans un hôtel qui lui parle de crever l’écran. Il a besoin de violence, puis on entend des bruits, comme dans le film où on entend des bruits. Puis ça fait comme roucouler. Ça c’est encore des problèmes familiaux. Intestinaux-familiaux. L’autre type s’appelle Alan. C’est le rembobineur. Il se débrouille à tout embrouiller. Il pense que la bande vient de Malaisie. Ah j’ai trouvé, c’est bon, dit-il ! On entend des cris dans les couloirs. - Les murs sont en argile électrifié. Ça donne des secousses, c’est de la gégène sexuelle, explique-t-il ! Max dit que c’est grotesque, mais il a tout essayé. - Alors Patron ? Intéressé ? Change de fréquence ! (on entend pas tout, c’est vraiment brouillé), dit Alan. Une femme parle (elle est dans le téléviseur qui se trouve dans la chambre d’hôtel) : - C’est ce qui en fait tout le charme des années 80. - Il faut vous détendre ma chérie. - Arrête de m’appeler ma chérie. L’homme est dans le canapé. On pense qu’il est sorti, alors qu’il lit un livre de psychanalyse. Les mots sortent eux-mêmes du récepteur. Oblivion est le nom qui résonne dans le tube cathodique. L’intrigue n’avance pas. Il n’y a pas d’intrigue : torture, meurtre, mutilation. On s’amuse. Les gens s’amusent. Ils regardent des objets. Ils stationnent devant l’écran. Ils font semblant, même en nettoyant les bibelots ils font semblant. Semblant de faire semblant.
Encore une famille de mal baisés. Avant on disait ça, avant, quand on croisait des gens, toujours les mêmes, dans les années 80 ou 90... c’est les mêmes mal baisés de l’histoire qu’on disait ! Ils sont là à marcher dans les rues. On entend les sons de tous les mal-baisés de l’histoire. C’est un vieux son pourri des familles, toujours le même bruit, la même salade enregistrée de vieille rengaine. Ils marchent. Ils vont ici et là. Ils s’engueulent. Ils en peuvent plus de se traîner le cul ici et là. On n’a rien fait de mieux pourtant, on croit qu’on a fait mieux mais on n’a rien inventé de mieux. Ceux qui pensent avoir fait mieux ont voulu se révolter, alors ils ont fondé des associations qui ont fait chier encore plus de monde. Ou alors ils sont devenus artistes, ont monté des collectifs. C’était pareil. C’était toujours l’institution qui collectivisait les intentions. L’institution baisa chaque individu. Alors les individus retournèrent chez eux, chacun dans sa famille, gros jean comme devant comme on dit. En dehors de ça, il y a la révolution. En dehors des familles. C’est ni les assos ni les collectifs, mais la révolution. On n’a pas fait mieux, à part se révolter, que de fonder des familles de mal baisés. (Rien de vraiment beau, pénétrant. Rien ne deviendra ni beau ni pénétrant. Allez voir ailleurs si j’y suis.)
On entend un explosif : – Joey ! Joey ! – Ça va Will ? – Ouais, ouais, ça va ! – Quand tu verras Matchinson ne l’appelle pas Ducon, s’il te plaît, Will ! – Ok Joey, ok ! Mais ne parle pas trop, ça va te fatiguer ! – Et les autres non plus. – Quoi Will ? – Quand tu verras les autres, tu leurs diras de pas appeler Matchinson Ducon, ok ? – Oui, oui, ok Will ! Je ferai comme du dis… Will ? Will réponds-moi, Will ! Wiiiiiiiiiiiill !!!
— Qui commande le passé commande l’avenir —.
Il saisit alors la télécommande et éteint son téléviseur. C’est fini, maintenant. Sa mère dort. Elle a encore loupé la fin du film. Surtout ne pas bouger ! Rester dans le noir complet. Attendre au moins la fin du générique, et baisser le son progressivement. A George Town, en 1980, c’est bourré de bagnoles. C’est ça qui est bien ! Il soigne sa mère. Il voudrait qu’elle habite ailleurs que dans ce lieu mal famé. Famé, ça vient à coup sûr de famille ! Sa mère lui dit : – Tu as un soucis dans la tête, Bob ? Non maman ! Maman, je suis très bien, vraiment ! T’inquiète pas pour moi ! (Quand on rembobine on comprend bien que le maléfice est déjà entré par la fenêtre). La mère de la petite a froid dans la chambre. Sa mère est hospitalisée chez les fous et lui n’a pas les moyens de la faire sortir. Lui il voulait faire le vœu de pauvreté, mais pour cela il faut être riche, mon pote ! Seuls les riches se paient le luxe d’être dans le dénuement, penses-y mon pote !
Un homme qui descend la rue en regardant toujours derrière lui. Un type vu par deux témoins qui ont déclaré avoir vu quelqu’un d’origine mexicaine s’enfuir du passage. Il a moins de 30 ans, leur a-t-il semblé. Ferait environ 1m70 et serait mince. Celui qui correspond au signalement de la police passe donc auprès d’un camion de poubelles dans une montée de la Pennsylvania avenue, en début de matinée, puis disparaît derrière l’engin un instant plus tard. Il force le trait, on a vite compris que c’était lui le suspect, à toujours regarder derrière lui en marchant vite… Par contre, aux infos, ils n’ont pas mentionné cette barbiche, ou bien bouc, qui lui entoure la bouche. « – On lui file 5 cent mille dollars pour jouer au baseball et il se paie des états d’âme ! – Chochotte ! Cela dit, entraîneur c’est pas facile : faut l’coup d’gueule et la brosse à r’luire ! – Oh là ! Vise-moi c’blaireau ! Connu ? – Inconnu de nos fichiers. » Le flic ressemble à un poète. Il a une tête de mec cool, une tête d’étudiant, d’intellectuel. Une tête de mec qui lit des livres en tout cas, un peu bordélique avec un bonnet, et sympa qui plus est ! Mais en réalité, il est pas sympa ni bordélique. Il lit pas et c’est pas un intello-étudiant. En réalité, il est pas cool du tout le flic.
Le poète était ainsi
fait comme un rat
dans la grande surface
imprimée du monde
car tous autour
de lui veulent
en croquer, tout le monde
a son devenir-poète
dans le grand supermarché
dla littérature