C’est sans doute un écrivain. Quelqu’un qui lit. Qui lit et qui écrit. On est sûr de ça au moins. Que c’est plus fort que lui. Qu’il ira jusqu’à la mort. Et puis avant, la maladie. C’est sûrement quelqu’un qui écrit, alors qu’il sait qu’aujourd’hui c’est la fin des lignes. Qu’on en a fini avec la ligne. On a résolu ça. C’est approuvé. Ratifié. On a la mire maintenant, on peut se passer de la ligne. Aux oubliettes les lectures, les écritures. On se suffit à nous-mêmes. On a déjà pléthore d’occupations. On n’a plus besoin des lignes. Plus envie de se taper toutes ces lignes. Car il nous faudrait être dedans. C’est pire qu’un sacerdoce. Creuser à l’intérieur des lignes jusqu’à s’entasser dedans. C’est ça que fait le lecteur. Lui, à chaque fois qu’il se met à lire, il voit souvent que ça n’a pas assez creusé. Ou alors ça a creusé, mais pas comme il le voudrait. Il aurait bien vu ça creusé autrement. Que ça soit fait autrement dans le creusement. Et pas de cette manière tortueuse. Tortueuse et barbante tout en étant mal faite. Mal faite ou pas faite. Pas faite ou mal faite comme il le voudrait. Il voudrait son mal fait pas fait à lui. Mais là il sent que ça s’est mal préparé. Ordonné plutôt pas trop. Pas trop comme lui il le ferait. Mal fignolé de toute façon. Et sans même un apprêt. C’est comme un tailleur exigeant. Un tailleur qui juge un vêtement. Un habit provenant de la concurrence. Il arbore la moue du connaisseur. Il regarde le travail à distance. Avec des pincettes. Il toise ces lignes avec mépris. Il ne s’attarde guère. On ne la lui fait pas à lui. Certes, c’est du cousu main, mais on voit de suite les raccords. On sent bien que ça a traîné négligemment sur la table de travail. On sent bien les hésitations. Qu’on s’est un peu endormi dessus. Qu’il a fallu s’y reprendre. Rallonger la sauce. On a sans doute gâché beaucoup de fils. Ou plutôt de l’encre, dans son cas. On n’est pas regardant à la dépense, pour sûr. On est dissipateur, on craint pas d’être un mange-tout, un panier percé. Alors bien sûr, dans le tas il y en a qui ont œuvré. Ça sent l’ouvrage sur mesure, pas laissé en plan mais fait avec ardeur et bon cœur. C’est vrai aussi qu’il y a aussi les grands maîtres. C’est bien autre chose. Une autre dépense. Les maîtres des temps Jadis. Ceux qu’on relit. Qu’on incorpore dans nos lignes. Sans même y penser, parfois. Ça coule de source. On sait que dans nos tracés on y trouvera un chemin semblable. Une parenté dans les lignes bien droites. Mesurées. Carrées. L’écrit quarré. On reprendra la marche des anciens. On avancera comme deux bœufs dans nos vers. Une belle tête de colonne. Imposante et auguste. Horizontale et quadrangulaire. Sur la belle route des vers on avancera. On rentrera dans leur chant. On donnera même le ton. On sera du peloton devant. On sera harmonieux. On aura le bel allant, le beau roulement. On suivra les traces bien faites. On marchera dans les belles empruntes laissées. Les sillons patients, infatigables. On suivra les lignes. Le beau tracé des textes, avec le buste droit, les jambes tendues. On défilera sous le chœur des vétérans. Au pas de la parade ou au pas de l’oie. Au pas prussien. Rythmique. Mécanique. Au pas métrique ou au pas oblique. Au pas de charge même s’il le faut. Mais ça c’est différent. On respecte le travail bien fait des grands couturiers. Mais nous on est juste des petits débitants. On a la petite arrière boutique. On est juste des boutiquiers, c’est tout. On fait plutôt dans le rafistolage. Le raccommodage. On cache un accroc et c’est marre. On rapièce plus qu’on narre. On est des petits métiers, on disparaît. On laissera peu de traces. On est les petites races de nos petits turbins. Nos historiettes de traviole. Vendeurs de lignes à la sauvette. Emousseurs de couteaux plutôt. Emmancheurs à plumeau. Siphonneurs d’encriers. Maîtres-charretiers. Ecorcheurs de langue. Encastreurs de phrases toutes faites. Ecrivaillons à la petite semaine. Rempailleurs de poèmes à la noix. Petits mécanos et chauffards relégué dans l’histoire. Les toutes petites histoires. Les sans-gloires aux mille fadaises. On reste propre sur nous, malgré tout. On balaie devant la porte à chez nous. On est des sortes de merciers. On trépigne, sur la ligne. On pose des rustines sur tout ce qui gonfle. Ou eut gonflé. Maintenant on est regonflés pour un temps. Le temps où tout a déjà été dit. Rebouffé. On a maintenant tout remâché. Tout le redit de la veille. On fait plus dans la dentelle. On creuse avec de bonnes grosses pelles. On est bien désolés, mais on bétonne dur maintenant. C’est plus la même ouvrage. Faut bien bouffer. Car en plus on nous épie. Tout le monde sait tout. Tout le monde veut tout de ce qui faut faire et dire. Alors on tape dans le tas. Ça avance pas. Ou avec une pelleteuse. Une bétonneuse. Une mitrailleuse. Nos lignes sont des tranchées. On attend l’ennemi fermement. Assis derrière l’écrit, avec nos grenades dégoupillées. Mais on en sait jamais rien de où il vient. D’où vient celui qui charge, nous charge de dire. D’où qu’il nous vient avec sa charge celui-là ? Il peut venir de derrière nous. Derrière le nous des lignes à nous. Les lignes amies. Il ne vient jamais que de là. C’est qu’un ami, une pourriture. Il affute ses armes et guète le bon moment. Pour nous planter. Où qu’on se trouve. Poireautant. Hésitant. Entre deux lignes. Parce qu’on continue d’écrire pour rien, évidemment. On fait des livres pour rien. Et on reste là, comme un benêt. Un sans cervelle. Le cul planté devant la machine. Et qu’on soit tous refaits. Qu’on s’en prenne une. La pointe amie. Le couteau bien pointu d’écriture. Dans le dos ou bien dans le cul. Et qu’on en meurt ainsi d’étonnement. De nos égarements. Il n’a pas inventé l’eau chaude. Le fil à couper le beurre. Il a bien raison. Il a raison de nos lignes. Fagots recuits. Bon pour la chiotte. Bien fait pour nos carcasses. On s’est fait prendre au mot.
29 - 10 - 2024
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