Il est flic. Il prend sa moto. Il monte dessus et il roule. Il rentre dans la caserne. Il gare sa moto. Il ne sait plus où sont les mots. Les vrais. Ceux qu’on devrait employer. Il ne sait pas. Parfois il dit Gare, parfois il Range. Il sait pas trop. Quel est le meilleur des mots, il doute. Il dit comme sa mère qui ne savait pas trop les mots. Sa mère connaissait des mots, mais pas les bons. C'était jamais les bons mots qu’elle disait. Il faudrait connaître les bons mots pour une fois. Un jour, se dit-il, un jour je connaîtrais les bons mots. Pas comme ma mère qui connaissait que les mauvais. Ma mère avait toujours un mauvais mot pour lui. C'était lequel déjà. Il ne se souvient plus. Quand il ne se souvient pas d'un mot, c'est mauvais signe. Ça veut dire qu'il a changé quelque chose dans son mode opératoire. C'est comme un criminel. Un criminel dans la police. Un criminel dans les mots. Il a ses modes opératoires qui diffèrent. Il oublie les mots quand ça va mal. Quand ça ne va pas trop bien, il sait plus rien. Et quand ça va trop bien, il connait le bon mot, mais c’est louche. Et là ça allait mal entre lui et sa mère. Il avait fait une connerie et sa mère avait utilisé un mot pour le décrire. Elle avait lancé ça comme un coup de ceinturon. Ou plutôt comme une serpette. On entendait le mot cingler dans l’air. Il fendait l’air et l’esprit ce mot qu’avait jeté sa mère. Elle lui avait lancé en plein visage. Ça lui collait dans la tête, mais à force ça s’est décollé. Il ne savait plus le mot qu’elle avait prononcé. Sa mère avait lancé un mot comme un lanceur de couteau, et sans qu’il s’y attende il avait reçu cette étoile de Ninja en plein front. Elle s’était peut-être trompée de mot, mais en fait elle avait utilisé le bon. C’était le bon mot pour le tuer, lui, même si c’était injuste, tout à fait disproportionné. Sans doute lui avait-elle balancé un Petit sadique, ou quelque chose dans le genre, sans qu’il ne puisse rien dire, rien penser. Il pensait à ça, cette erreur de définition qui avait marqué son correspondant. Ce n’était pas comme cet écrivain qui cherchait aussi le bon mot, mais ne le trouvait pas et ne se serait pas aventuré à en balancer un autre au lecteur lambda. L’écrivain avait perdu le mot, il le cherchait depuis le début de son livre et personne ne pouvait l’aider. On a fini par savoir que c'était le nom d'un communiste. Il avait oublié le nom, parce que lui n'était plus communiste, ou alors il était encore communiste mais avait maintenant une vie de bourgeois. Un bourgeois qui boit du Chianti d’après l’auteur du livre. Et les bourgeois qui boivent du Chianti ne peuvent plus se souvenir du nom d'un communiste. Peuvent-ils même se souvenir du mot communisme. Le mot communisme est pour eux un vieux nom oublié

Il rentre dans sa caserne. Il est flic. Il a un collègue. Le collègue s'enferme dans le local des archives où il y a la machine à café. Le collègue s'enferme avec sa collègue. Le collègue boit le café avec la collègue dans la salle où il y a la machine à café. C’est aussi l'endroit où on fait les PVR. Le PVR ça veut dire Pain-Vin-Rillettes. C'est une région où on fait des rillettes. Le collègue blague devant sa collègue, il dit que dans cette région il y a des champs de rillettes à perte de vue. Lui et sa collègue doivent amener le PVR pour toute la brigade. La brigade tous les vendredis matin à 10 heures attend le Pain-Vin-Rillettes. Et lui et sa collègue, avant d'aller chercher les rillettes et le pain et le vin au supermarché, ils passent chez lui et lui il montre la chambre à coucher à sa collègue. La chambre où ils dorment, lui et sa femme. Et là le collègue il veut coucher avec elle, mais ils n’osent pas. Et puis après ils vont chercher le PVR pour les collègues. Les collègues trouvent qu'ils mettent trop de temps pour amener le PVR. Les collègues s’impatientent. Tous les vendredis matin c'est le PVR, à 10 heures tapante. A 10h la brigade fait une pause. Au PVR tout le monde boit du vin, mange du saucisson et des rillettes. Il y a aussi des cornichons. Tout le monde prend du fromage avec du pain et discute. C’est comme ça tous les vendredis. Tous les vendredis c’est PVR le matin et grand nettoyage des bureaux l’après-midi. Tout le monde est détendu et en tenue de sport. Et tous les vendredis c'est le collègue et la collègue qui vont chercher le PVR et qui passent avant chez lui pour regarder le lit de la chambre où lui il dort avec sa femme. Sa collègue regarde longuement le lit et lui il regarde longuement sa collègue, puis ils vont chercher le PVR et arrivent en retard. Les collègues s’impatientent. Le capitaine s'enferme ensuite dans son bureau. Après le PVR le capitaine s’enferme dans son bureau pour dégueuler. Les autres vont bouffer au mess des sous-officiers. Tout le monde va au mess et en passant demande au capitaine s’il vient manger. On va tous manger au mess, capitaine, vous venez au mess ? Ils entendent le capitaine dégueuler à sa fenêtre. Les collègues toquent à la porte du capitaine. Ils lui disent qu’ils vont tous manger au mess, ce qui le fait encore plus dégueuler. Il est coincé dans son bureau. Tout le monde écoute à la porte et l’invite au mess. Tout le monde rigole discrètement. Le capitaine leur dit qu'il préfère rester dans son bureau. Tout le monde entend dégueuler le capitaine. Il a trop mangé de pvr et surtout bu trop de vin et pas que du vin, mais aussi du ricard. Le capitaine fait des mélanges et il n’a pas l’habitude, les sous-officiers l’ont piégé, alors après il part dégueuler dans son bureau pendant que les autres rigolent au mess. Nous ne pouvons plus être des communistes car nous sommes des malades. Nous sommes malades de nos années. Toutes nos années sont des années de malades. Nos années 2000 et nos années 90. Nous sommes malades de toutes ces années et de toutes les autres. Nous sommes malades des années 80. Nous regrettons les années 80. Nous regrettons les années 70. Nous sommes malades des années 2010. Des années 90 80 et 70. Nous sommes malades des années 60. Nous sommes des grands malades des années 50. Nous avons toujours été des malades, car nous regrettons les années de notre asservissement. Nous avons été asservis pendant des années et nous regrettons cet asservissement.