demain c'est toi, chère ombre.
on a son ombre
qui se projette.
en qui se
projeter.
on se projette
en nombre d'ombres.
on est projeté
dans le viseur.
c’est le viseur
de l'ombre.
car hier tu jouais
à être une ombre.
et je me retournais
pour te voir.
voir le viseur contrarié.
dans le viseur
de l’ombre.
l’ombre contrariée
se détournait.
tout en me
projetant. Demain,
dans des images
sans elle.
on est sans cesse
à se traquer dedans
nos phrases.
On traque
nos phrases.
comme celles qui
venaient de toi,
chère ombre.
ça ne venait pas
de toi. mais
de ta tête.
c'était une phrase surtout.
une phrase de tête.
qui est venue
dans l'oreille.
puis est ressortie
de ta bouche.
et je l'ai reprise.
on n’est que des
reprises de phrases,
de voix.
demain c'est toi,
chère ombre, qui
reprise, et puis ce
sera moi.
tous les jours sont
nos demain
à repriser.
dans le présent, dans
ce qui file comme dans
cette rue. cette rue
de Forcalquier (je peux?).
Forcalquier
où la phrase
a sonné pour toi. moi
je ne l'avais pas
entendue, mais tu
l'as répétée. et je
l'ai reprise
à mon tour.
je voulais t'écrire sur ce
que j'avais projeté
dans ma tête.
à partir d'une autre
phrase à filer.
j'avais envisagé
de scotcher ta tête.
avec de gros poska
et une fois les feutres
noir et rouge.
adhérant au haut
du crâne, taper
la pointe de ces gros feutres.
avec ta tête,
faire un balancement
de la tête.
comme les canards.
cogner en rythme ton front.
sur la feuille d'un carnet, dire
en même temps.
je n'écris pas,
je n'écris pas,
je n’écris pas, continuer
le balancement. taper
sur la feuille
avec le feutre au crâne.
et puis tourner la page.
tracer sur une autre feuille.
et tout ça demanderait
d'improviser.
tout ça demanderait
d'inscrire un rythme.
de colorer la feuille, tourner
les pages.
comme si je lisais
un texte, puis j'ai pensé
ensuite à écrire.
tout en parlant, mais écrire
autre chose.
que ce que je disais, opérer
une disjonction.
entre ce qui sort
de la bouche.
et des mains, mais
je n'ai rien fait.
cet élan s'est perdu
la veille, le lendemain.
j'ai pensé à autre chose, le moment
était venu de t'écrire.
de penser à demain. partir.
depuis un élan autre.
celui qu'on s'est donné dans la rue.
avec cette phrase
résonnant sur les murs.
de Forcalquier demain.
demain on parle
aux murs. chère ombre, demain
on parle aux murs.
de Forcalquier.
Nous sommes tracés. Nous sommes parlés aussi à partir de nos traces. Ce sont nos traces. Nous sommes des tracés de nos traces. Nous voulons respirer en dehors de nous, c'est-à-dire de nos traces. Nous ne sommes que des détracements de traces. Nous faisons face à nos traces en nous effaçant. Nous faisons face dans l'effacement comment. Comment effacer nos traces. En nous décerclant de l'écrit. L'écriture est un cercle. Pour nous décercler, il ne faut plus de traces, ou alors des traces qui détracent notre encerclement. Nous décerclons en parole. Nous sommes des décercleurs. Notre parole est notre décerclement. Notre parole doit effacer nos traces dans le parler. Comment s'agiter autrement dans ces cercles concentriques. Comment se débarrasser de toutes ces langues encerclantes sinon en déparlant. Comment s'arracher des parlers qui nous suivent à la trace. Comment faire pour se déparler. Comment faire pour se défaire du langage en opérant un décerclement en soi-même. Il nous faut nous défaire des mots qui nous encerclent trop. Les mots qui nous suivent à la trace. Détraçons les mots en les traquant. Détraquons le parler en lui faisant face. Nous faisons face en écrivant, c'est-à-dire en déferlant. La poésie déferle. La poésie est une déferlante dans le lent. La poésie lentement fait déferler le lent. Tout ce qui est lent est déferlé depuis les dedans. Toute la poésie se répand comme une vague. Nous sommes une montagne qui déferle en vague lente. Nous sommes un déferlant lent. Une déferlante lente.
Nous sommes le chant du manque à soi
le chant du chaînon reversé au vide
de Je. Nous sommes le chant
de la somme de l’appartenance
à rien. De la division chantée dans
dans le vide de l’individu.
L’individende du Un
vendu à tous les vents.
Nous sommes le chant des plus-tais-rien
qui habitent le Taisant
tout en parlers de travers.
Tous nos lieux sont envahis
par les lointains.
Il y a cet espace
qui est au-dessus de nous
et qui fait toute la respiration
comme une langue qui passe dessus
nos chants de division.
Nous croyons observer les étoiles
alors que ce sont les lointains
qui nous observent.
Nous ne sommes que de vieilles observations
qui n’ont plus cours.
Chaque lieu est un espace aveugle
à l’observation en cours
puisque nous vivons
dans des lieux écrasés
et que les lointains
nous cernent de près.
Nous sommes écrasés en nous-mêmes
car nous ratatinons la vie
tout au fond.
Le fond de nous
forme une boule
et nous la prenons comme étant
notre propre lointain.
Puis nous roulons cette boule
sur nous-mêmes
comme un petit tapis.
Nous nous sommes cachés dans la vie
du petit tapis.
Nous faisons semblant
de venir de tous ces corps célestes
alors qu’il y a une autre matière en nous
que nous cachons
à nous-mêmes.
Nous la cachons aussi
à tous les corps célestes
en faisant briller nos existences.
Nous voulons briller dans l’existence
pour ressembler à tous les astres
et même les trous noirs
car les trous noirs font aussi part commune
avec l’existence qui brille au firmament.
Mais nous ne sommes pas
de ce firmament-là
au fond de nous-mêmes.
Au fond de nous-mêmes
il y a ce trou qui ne brillera jamais
dans aucun firmament.
Au fond de nous-mêmes
il y a cette matière inconnue
à nous-mêmes
et qui défie l’énergie du vivant.
Au fond de nous-mêmes
il y a une existence qui ne brille pas
dans la vie et nous la cachons
à nous-mêmes.
Car nous-mêmes nous pensons
que nous appartenons à tout sauf
à l’énergie du vide.
Nous-mêmes nous pensons
que nous agissons depuis
nos organes qui proviennent
des rognures d’étoiles.
Mais nous ne sommes pas totalement
de cette terre
et donc nous ne sommes pas totalement
des rognures non plus.
Nous sommes plutôt des rognures
venues d’un autre horizon
que celui des étoiles.
Nous sommes des rognures venues d'ailleurs.
Et des bêtes se cachent dedans
Des bêtes se cachent en nous-mêmes.
Elles sont venues de loin.
Des bêtes nous ont montré le cosmos
depuis nous
Alors nous sommes aussi
devenus des bêtes
à fuir le monde.
Il a fallu apprendre à nous cacher
c’est alors que nous sommes venus
dans la vie.
La vie est une bête
dans laquelle nous croyons
nous cacher
du reste de l’animalité.
Nous sommes ainsi venus nous cacher
dans la vie car nous avions
des ennemis qui nous poursuivaient
depuis le Cosmos.
Cela ne nous ressemblait pas
d’être poursuivis
et d’avoir des ennemis
du Cosmos.
Cela ressemblait plus aux bêtes
qui ont au fur et à mesure
pris notre place dans le vivant.
Elles nous ont remplacées
depuis notre bouche et nos mains
ainsi que depuis tous nos organes.
Il nous a donc fallu faire taire
la bête poursuivie
en nous pour reconquérir le corps.
Il nous a donc fallu aussi nous cacher
dans le vivant à notre tour.
Nous autres, les vivants
par dépit, devons apprendre
à avancer masqués.
Que tout notre corps
soit notre masque.
Que toute notre personnalité
ne soit qu’en masque
et que nous voyagions à l’intérieur.
Nous devons voyager
en nous-mêmes
tels des parasites
de l’individu.
Individu = vide déversé des plusieurs
dans tout le Un qu’on a en moins
individu somme des en-moins
dans le reste des dus.
Individu somme
de toutes les absences
qui le composent.
Individu somme
des chances qu’on a
à chanter son divisé
dans l’existence
double zéro.
Dans l'Hôtel de l'Univers, la vie est un putain de chantier !
1 - Je lis le livre d'Hedi Cherchour et je livre mes impressions sur son écriture, son style, ses moments rapides visionnés à la loupe.
Hedi Cherchour aime ramasser les phrases en quelques mots. Il y a d'un coup comme une explication, une lumière, une approbation à tout ce qui vient d'être écrit, à toutes les actions dites. C'est cela qui embrasse la phrase, la revisite, l'explique, mais cette explication nous ne l'attendons pas bien souvent. Elle monte seule dans notre regard et raconte cet intérêt qu'on pouvait avoir pour telle action. C'est comme une signature, celle de l'enfant bien souvent. Mais cette signature nous surprend nous lecteurs, elle nous intrigue au fur et à mesure des pages, nous fait finalement douter à cause justement qu'on interprétait différemment, ou que le petit personnage, cet enfant, voyait les choses autrement depuis son (ses) intérieur(s). Et on découvre ça en fin de phrase, sur quelques mots, trois fois rien. Le regard de l'enfant, sa pensée qui retourne tout.
Ce regard d'enfant (Farida) se maintient même à l'âge adulte.
Un Enfant myope mais qui voit l'immédiat des choses.
Son corps grandit mais son regard est toujours autant fulgurant. Il nous dépasse d'une tête dans le texte. Sa parole parle des langues, du problème des mots, les nouveaux mots du père. Elle nous parle des langues, celle que la mère ne peut comprendre, puisqu'exilée dans sa langue sienne au fond de sa cuisine et celle que ce père remâche obsessionnellent en roulant vers ses chantiers. Un moment, Farida écrit même : L'exil est un charabia.
Farida c'est un regard qui fouette le réel d'une situation, ses yeux tout ronds qui grossissent l'instant, ce qui fait qu'il y a parfois des effets de loupe, des ralentissements dans les actions qui tendraient à accélérer le train de la fiction. ("C’est vrai que quand j’écris, je tire une balle, au début la balle va vite et ensuite elle ralentie et on peut voir à travers son ralenti les dégâts stratosphériques. " Hedi Cherchour)
Peu importe qu'on ait vécu ou pas des situations similaires au final, ce qui importe, il me semble, c'est qu'on est retournés dans notre lecture. C'est là que réside l'étrangeté, dans ces spots qu'elle allume, ces focales qu'elle place telle une peintre qui dessine patiemment un détail, puis rire un trait et file ailleurs.
2 - Les personnages apparaissent puis disparaissent. Mais on reste attaché à eux (grâce au regard porté de la narratrice, Farida).
Ils sont très prégnants.
Et du père naissent de nouveaux personnages, de sa disparition viennent des doubles , drôles, inquiétants ou tristes, Yanis ou Soltan
Un peu des fantômes du père mais sans les responsabilités, des gens perdus qui réagissent à leur manière dans la France des années 90
Puis une sœur de Farida, Mouni.
C'est elle qui nous fait faire la traversée avec Farida jusqu'à la deuxième partie du livre.
Puis qui disparaît violemment.
Mouni représente bien la seconde partie en disparaissant tragiquement dedans.
3 - La disparition des personnages.
Au début il y a une épaisseur, une lenteur dans l'action même, qui est de moins en moins tenable au fur et à mesure de l'écriture ; les derniers personnages représentent ça. Ils apparaissent en coup de vent, disparaissent d'un trait de plume (Caroline de Sav, Doumé d'Endoume).
En fait, les personnages ont de moins en moins de place, ils rétrécissent au fur et à mesure que le personnage principal soit à sa vie. Elle en a fini avec son job de narratrice, c'est sa vie qui apparaît en fait, jusqu'à rouler même le lecteur.
"La vie, c'est un peu la séquence du spectateur".
Hedi Cherchour.
Le lecteur est piégé, déposé sur le chemin pour qu'elle poursuivre son destin, son "mektoub", comme elle le dit souvent au début du roman, en parlant de son père ; comme si en fait cette fin était une dernière farce faite à la fiction.
Les personnages taillent la route carrément.
C'était pas un roman, c'était une série télé et la fin toute pimpante c'est sur un offshore rouge, super visible, qu'on voit partir tout ce beau monde. Il "n'y a plus d'obstacle", dit encore Farida. "Pas de mur en mer", vous vous êtes toutes et tous faits berner les gens ! L'esprit de Yanis le flambeur est plus que jamais présent, sa trace comme une nappe de gazoil sur toute la Méditerranée d'aujourd'hui.
Il a floué tout le monde le livre. Mais en même temps, ça réussit un doublé avec le fait que ça se passe plutôt bien. La fin est bien, c'est une belle fin, presqu'un conte de fée, parce qu'il faut que ça se passe bien, comme une peau qu'on a fini par retirer. Une peau crasseuse dont on se débarrasse enfin dans la mer, pour vivre d'autres aventures. La honte est presque partie. Elle est partie grâce a la mort (Farida au terme du voyage ferme les yeux, ce n'est pas pour rien que c'est dit! Elle ferme les yeux et dit : "on va peut-être tous crever, il n'y aura plus d'histoire,..." c'est-à-dire il n'y aura plus d'emmerdes.
Fin de l'écriture.