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en égoutant la musique...

Si le Rock avait ressemblé à cela, mon Dieu[1] !

Si le Rock avait ressemblé à cela, mon Dieu! Si mon Dieu le Rock avait eu cette exigence et cette simplicité. Cette sauvagerie aveugle. Si le Rock avait pris un tel coup de soleil. Un tel coup de bambou, mon Dieu ! Si le Dieu Soleil avait cramé les mains et les âmes des Rockers pour produire ceci ! Si le Rock avait été à ce point vivant, incandescent, avait été cette danse du soleil et du meurtre du vivant ; meurtre de l’humain pour redevenir un ours ! Si le Rock s’était à ce point oursifié, avait autant joué de la flûte que de la guitare, ou n’importe quoi qui passe par-là, du moment que ça accompagne ce qui se trace dans l’air. Si le Rock se dansait à l’air libre la nuit, continuellement, comme les derviches tourneurs, faisant feu de tout bois de guitare. Si le Rock avait été à ce point attaqué, si vibrant, remuant les murs comme autrefois on les enduisait pour les peindre. Peindre la chasse. Peindre la mort comme autrefois, quand on voyait les ombres qui dansaient en peignant grâce au feu dans la grotte. Peindre le feu de Dieu avec des sons ! Si le Rock avait tordu à ce point les cordes et pas que des cordes de guitares ou vocales, mais que l’expérience de la vie et de la mort entre en son cercle, en son nœud ; que l’existence se produise par la danse tournée jusqu’à la perte de la mémoire ; que les danseurs finissent tous morts à la fin des morceaux. Alors le Rock se serait appelé autrement : il se serait fait appelé Catalogue ! Le Rock est un catalogue mais Catalogue, Lui, dépasse le Rock ! Il le détrousse. Il le désosse. Et l’os ça veut dire l’ours, oui ! Catalogue est un os, c’est-à-dire un ours, c’est-à-dire une musique qui griffe les troncs et chante pour les murs ; une poésie chantée non verbale ; des glossolalies qui sortent d’un corps ; des borborygmes de machines ; une danse de marteaux lancés en l’air, car Catalogue peint la vie au marteau. C’est une peinture lancée comme un cri et qui n’en finit jamais, dont le son creuse la fatigue des nerfs ; Catalogue est un beau pèse-nerfs ! Pour en finir avec le jugement de Dieu, justement ! C’est du non-humain fait par des humains. Catalogue est un groupe d’assassins, c’est de l’assassinat humain fait par de l’humain, certes ! Mais après cette danse c’est fini ! Après c’est un Dieu ! Un Dieu qui tue. Et se tue ! Catalogue c’est une divinité qui s’est enfin oursifiée ! Avec ce disque la divinité ne bouge plus de la grotte et respire enfin à nouveau. Ouf ! Le Rock peut aller se recoucher.

 

[1] Assassins, du groupe Catalogue, CD enregistré et produit par Jean-Marc Foussat en 2024.

les petites mains

Il y a ces mains. Ces petites mains de la France. Il y a les petites mains d'en bas. Celles qui traînent dans la France. La France de tout en bas et qui soutiennent cette France. Des mains. Des petites mains de France en nombre. Un grouillement de mains. Et qui farfouillent. Ce grouillement qui est au fond. Tout au fond du sac français. Et qui remontent la France. De fond en comble ce grouillement. Ce mouvement de fond. Qui remonte la France de son fond propre. Car elle n'a pas mauvais fond la France. Elles le savent ces petites mains. La France est soutenue par ces petites mains. Les petites mains d'en bas. Qui la tiennent bien. Des petites mains solides. Des petites mains usées mais solides. Nerveuses. A la corne durcie. Des petites mains veineuses et tendues. Calleuses. Des petites mains de travailleurs et de travailleuses. Les travailleuses et travailleurs des arrière-fonds français. Qui œuvrent depuis les fonds. Dans les égouts même. Qui font tout le sale ouvrage. Qui sont le soutènement. Les fondations. Et c'est à ces soutènements de mains là. C'est à ces petites mains travailleuses soutenant les fondations qu'on s'en prend. On s'en prend aux sans-grades qui maintiennent la France encore debout. Encore vaillante. Travaillante. Inépuisante. Grâce à ce sous-peuple. C'est à ce sous-peuple qu'on s'en prend. Petites mains d'en-dessous. Ces sous-mains du peuple. Ce peuple de l'en-dessous. C'est à ces petites mains qu'on s'en prend. Aux ouvrageuses et ouvrageurs d'en-dessous de la souche. De la France des souches. La source des souches qui est pure. Presque pure. Les souches blanches. Encore un peu blanches. Mais qui peuvent devenir moins blanches. D'un blanc moins poli. Moins dressé et poli. Une France souchienne moins jolie. Une France de souche et de crassiers. Une France un peu crasseuse même blanche et en dessous d'elle les petites mains des moins que rien. Les petites mains encore plus crasseuses dessous les souchiens. Dessous les souches les sales pattes de chiens. Petits chiens de race pauvre. De sous-race. Des sans-race même. Des peuples déracés. Des chiens errants dans la France mais qui n'errent pas tant que ça. Au final. Qui travaillent. Des chiens de sous-race travaillante. Remuante. Qui décrasse de partout. Dans tous les fonds de France et c'est à cette sous-race de chien. Cette sous-France dont on s'en prend en premier. Car on leur fait croire à ceux de l'étage du dessus que sa race a un prix. Que sa race vaut quelque chose. Qu'elle vaut presque de l'or. Qu'elle rutile presqu'encore. Que sa belle race va être jalousée. Qu'elle sera prisée. Qu'elle sera même volée si elle ne prend garde. Que sa race sera le butin de ceux d'en-dessous qui n'ont pas la bonne souche. Eux les français de souche on va mêler leur sang bientôt. Bientôt le grand remplacement par le sang. Bientôt la grande conversion des souchiens avec les petits chiens du dessous. Eux les rebuts mais du dessus. Car effectivement ils sont aussi des rebuts. Mais moins. Ils sont les rebuts avec des sous. Les sous de la France. Les sous rutilants du souchié premier. Eux les rebuts avec leurs gilets. Les souchiens jaunes et leurs soucis. Les souchiens sous la pluie. Avec leur gilet jaune de chiens mouillés. Les petits français moins moyens qu'avant. Les français qui ont le regard dans la télé. Les français que la télé française regarde quand ils la regardent. Les français les yeux dans les yeux de la télé. Les français sous colère. Les français des lotissements sous colère. Les soulèvement des sous-riens dans les lotissements avec aussi les anciens chiens. Les vieux chiens qui ont su devenir français. Presque français. Qui ont monté la garde devant la France. Qui montrent les dents à ceux qui arrivent maintenant. Qui montent la garde en grognant dans les chenils des lotissements. Qui ont monté les échelons petit à petit en devenant presque blanc. Blancs grâce à la télévision dans la maison du lotissement. Ils détestent aussi ceux d'en-dessous. La sous-France des racailles. Les sous-français qui font tout le sale boulot de la France de maintenant. Eux aussi ils ne veulent pas qu'on les confonde avec ces autres rebuts. Car eux sont des rebuts mais bien dressés. Bien caressés. Ils ont leur médaille du mérite du boulot-la-France qui les a cassé. Ils ont donné. Ils ont leur petits sous maintenant. Ils ne veulent pas que ça fonde en dessous d'eux. Que ça ruisselle par en-dessous leurs petits sous. Que leurs petits sous aillent tout en dessous on ne sait pas où. La télé leur a dit que ça ruisselait. Et ma télé leur a dit aussi qu'on les confondait. Et qu'on les renverrait chez eux. Alors que chez eux c'est ici pour les rebuts de première classe. Eux ils savent qui sont les vrais rebuts. Et c'est pas eux les vrais rebuts. Les anciens rebeus maintenant qu'ils ont fait leur place. C'est pas eux qui travaillent la nuit maintenant. C'est les autres rebuts. Ces petites mains d'aujourd'hui. Eux ils ont tenu les fondations bien avant. Avec leurs petites mains a eux. Leurs petites mains d'hier. Ils tenaient les fondations avec les souchiens d'avant. Ils bossaient sous terre avec eux. Ils étaient les vers de terre. Les vers de la France qui grouillaient et qui bossaient. La France qui était forte grâce à eux et maintenant c'est fini. Maintenant la France s'effondre alors qu'ils ont gardé leurs petits sous et leur télé qui leur parle à eux. Maintenant qu'ils ont tout pour être heureux. Tout ça qui peut rejoindre la terre du dessous. Tout ça qui part sous terre maintenant. Qui s'engouffre avec la France. Mais il feront tout pour sauver la France et leurs sous. Car ils ont bien été payés. Ils ont en ont eu pour leurs sous en France. Leurs petits sous français. Car ils ont donné leur bras pour la force-France. Ils ne veulent pas sombrer avec leurs meubles. Avec leurs bons voisinage. Avec leur tranquillité. Avec leurs petits sous de France. Ils ne veulent pas s'enterrer dedans. Dans la nuit sans fond de la France. Ils veulent encore être reconnus des bons français. Ils sont les bons français. Même sous la terre de France ils veulent qu'on voit leur face blanchie et ne pas se mélanger avec tous les noirauds qui meurent en méditerranée. Ils sont plus des chiens eux. Mais des anciens chiens. Copains avec les blancs souchiens. Ils savent que pour un blanc un noiraud sera toujours un noiraud pourtant. Même s'il habite le lotissement. Il sera jamais tout a fait blanc. Il aura toujours sur ses mains noiraudes. Il aura toujours sur sa face noiraude et dans ses mains noiraudes. Il aura toujours dans son nom de noiraud la trace du fer qu'on lui a apposée. Quand il est venu pour bosser. Il aura toujours la marque du bronzé. Mais c'est différent. Car on sait. Ils savent. Eux. Les vieux. Les premiers de cordée. Les premières petites mains elles savent qu'elles ont fait le boulot français. Qu'elles ont bossé la France. Et qu'il ne faut pas les mêler avec ces pieds sales. Ces pieds nickelés. Ces va-nu-pieds de la soufFrance. Ces moins que rien qui viennent à pied puis en bateau voler le travail que personne ne veut. Personne n'en veut mais ce n'est pas une raison. Personne ne veut d'eux-mêmes et de leur boulot de la mort de ces petites mains dans les trains. Dans les hôtels. Dans les gares. Dans les supermarchés. Personne ne veut de ces petites mains pour ramasser la merde. Et pour ramasser la France même. Personne ne veut d'eux même la France. La France qui leur fait une fleur. C'est la fine fleur de la France d'aujourd'hui et c'est à elle qu'on s'en prend. Car on ne veut pas d'elle. On ne veut pas pousser sous elle. S'effondrer sous elle. On ne veut pas que le plancher s'effondre entre nous et cette sale race. Le plancher tout fin. On entend tout avec ces murs en France. Ces murs sont fins comme du papier. Et sous nos pieds c'est aussi du papier. Partout la France c'est comme du papier. On entend tout. La fine couche de feuilles qui nous sépare des autres. On ne veut pas connaître ces autres. Devenir ces autres qui n'ont pas de visage. Les sans-noms de la France. On veut garder cette fine couche de papier. Ces lignes de feuilles entre nous et ces mains-là. Nos mains et nos lignes. Nos belles lignées au-dessus de cette crasse. Ne pas être au même niveau que la crasse du dessous. On a déjà la nôtre de crasse au-dessus. Une crasse un peu propre. Une petite crasse de mains blanches. Ou demi-blanches. La crasse des presque mains propres. On a déjà cette fine pellicule sur nous. Mais on sait la dissimuler. On sait se cacher de notre crasse. On a intérêt à savoir s'en cacher. On sait comment laver nos petites mains car on s'intéresse encore à nous. Nos mains ont un certain intérêt. Car on dépense nos sous. On ne fait pas fortune mais les fortunés savent que sans nous ça irait plus mal encore. On irait encore plus en dessous. On irait tous sous terre pour eux. Alors on fait des efforts. On dépense tous nos sous. On suit le cours des prix. On acquiesce. On moufte pas. On s'écrase devant les prix. Même mamie. Même papi. Tout les petits petits s'écrasent devant les prix et pas l'inverse. Aucune lutte n'est possible devant les prix. A part celle de s'écraser. Se laisser étouffer. Etrangler. Se laisser périr par les prix. Se faire ratatiner par les prix et ratatiner l'autre du dessous aussi. Par la même occasion. L'autre sous-saloperie au prix de l'effort consenti. Et tout ça pour le même prix. L'autre sous-saloperie qui comprend rien. L'autre rien de la société des petites mains. L'autre sans le sou. L'autre sous-main sans race et sans devenir ici. Sans son devenir-main. Alors que nous on a déjà nos soucis. On sait qu'on a un demain bourré de soucis. La politique nous le dit. La politique nous serre la main. Elle est sourcilleuse. Elle cherche des solutions pour nous. Elle nous parle à nous la politique. Elle nous fait des clins d'œil. Ça va aller. Ça va bien se passer. Elle nous caresse la jambe la politique. Elle nous fait des ronds de jambe la politique. Elle nous prend la main. On est dans sa main la politique. On lui fait le baisemain. Qu'elle ne nous lâche pas. Qu'elle fasse rien sans nous la politique. Qu'elle nous caresse qu’on ne lui résiste. On a des mains trop fatiguées. Mais on a encore de belles mains. Des mains bien racées. On a la force avec nous. On serre encore fort la main. On serré nos sous. Alors la politique nous fait des sourires à nous. Elle nous fait des mimiques la politique. Elle nous fait des guili-guili. Elle nous fait des coucous car on comprend tout. Elle est avec nous la politique. Elle nous comprend parfaitement. C'est à nous qu'elle demande des efforts. Elle compte sur nous la politique. Sur nos mains. Car nous on est les vraies mains françaises. On est les vraies mains de la France. La vraie race de demain-la-France et en dessous d'elle. Là dessous nos petites mains il y a les sous-mains. Et dedans les sous-mains tous ces morts qui remontent. Ils remontent dans toutes les mains des sous-mains. Toutes ces morts de ceux qui sont tombés sous la main française. Toutes ces morts qui ont travaillé pour les mains. Les mains blanches. Les belles mains qui n'ont pas travaillé. Les belles âmes de mains qui ont fait faire le travail en sous-main. Le travail accompli par les morts. Les morts-aux-mains tombés pour les belles mains. Et ces doigts de sous-mains. Ces doigts de sans-le-sou qui fourmillent de tous ces morts. Ces morts qui s'agitent encore en dessous. Ces morts dans les petites mains des sous-mains. Ces sous-mains qui sont à ces sous-humains. Ces sous-humains avec la mort aux mains. La mort dans toutes ces petites mains. La mort qui usine dedans. La mort dans les galeries veineuses. Sous-petites-mains veineuses et nerveuses. Mais aussi véreuses. Grouillantes de vers de toute la mort de France. La mort en France qui grouille dedans. Dans ces tunnels. Ces galeries. La mort qui roule sous les doigts. Toute la mort en France qui passe par ces petites mains. Ces petites mains de sous-humains qui conduisent la mort en France. La mort qui va dans le mur de la France. La France au mur. A tombereau ouvert. La France pour la mort est mûre. Les petites mains qui conduisent la mort dans ses galeries. Des galeries souterraines pour la France qui par elle seule va dans le mur.

écrire parler

C'est facile de parler un peu facile ou pas c'est facile et pas facile certains croient que c’est facile ils disent il est aisé de parler mais pas tant que ça car tout de suite on fait des difficultés au parler tout de suite on ne lâche plus le parler pourquoi ils ne peuvent pas se taire après avoir causé pourquoi quand on a quitté le simple le facile on ne se tait pas pour de bon?

 

On pourrait se taire après avoir lancé quelques mots, juste quelques phrases et disparaître, et que ces phrases aussi disparaissent, car en général ça tend à rester, même si on n’est pas tenu de rester nos phrases n’entendent rien aux injonctions, il faudrait des phrases qui n’entendent plus plutôt que des phrases qui parlent, des phrases encore plus creuses qu’elles laissent entrer tous les sons dedans pour les faire taire.

 

C'est plus facile de parler que d'écrire à c'qu'on dit, mais parce qu'on n’est pas entraîné, c’est par obligation qu’on parle, plus qu'on écrit, si on veut pas écrire on peut mais se taire c'est plus compliqué, déjà parce que se taire dans l'écrit tout le monde s’en fout, mais si vous vous taisez verbalement vous posez de suite un problème, un problème insoluble pour la vie en société, il faudrait pouvoir parler pour pas faire société, parler juste pour faire taire toute velléité, toute envie de faire société.

 

Le problème aujourd’hui c’est la littérature, toute cette littérature qui verse dans le social, c’est tout l’ennui de cette société écrivante et qui veut nous expliquer la socialité, qui veut nous démontrer par le biais du langage, de l’écriture, qu’il y a des problèmes sociaux et que la littérature peut faire quelque chose avec ça, toute la littérature verse là-dedans, sur dos même d’une pensée qui voulait le langage sur la crête entre l’homme et l’animal, quelque chose qui serait dans un vacillement, tout ça sur le dos du style, c’est-à-dire d’une façon de parler comme un étranger dans sa propre parole, comme une parole qui tourne à vide mais qu’on tient par la bride, une parole-cheval qu’on veut dresser, mais le cheval n’a rien à voir avec l’écriture et moi je sais pas faire de cheval, alors je tombe de cheval et c’est le fait de tomber du cheval qui fait qu’il y a écriture.

la ponctuation relève de l’air. l’air qu’on avait dans la bouche. la pensée se livre d’un trait et la bouche ponctue. c’est la ponctuation qui fait que ça pense. et c’est par manque d’air que les phrases parfois nous viennent. toute la colère remonte des phrases, comme un trop plein de sang. on a inventé le sens pour faire taire la rage qui nous remonte par paquets.

La pierre.

Il est là. Il vient nous voir nous autres. On est là, à grenouiller. A faire de l’art, à gesticuler plus exactement. Gesticuler c’est faire de l’art après tout. On ne sait pas, on attend qu’il nous dise. On n’est pas sûr. On sait qu’on est dans un lieu qui prête à ça en tout cas, à la gesticulation, ou à l’art. on sait qu’on peut y aller. On est trois et on y va. Il y a elle et lui et il y a moi. Moi je suis un peu leur professeur, même si j’ai jamais professé. J’ai jamais voulu faire ça, d’autant que moi et les profs. Mais là c’est pas pareil, je suis pas vraiment prof, je suis venu pour m’amuser. Pour faire de l’art. ou bien gesticuler. Je sais pas, je voulais être avec eux deux, et leur montrer le génie du coin. Il est là, lui. Le génie. Il revient vers nous. il nous avait laissé le champ libre, dans sa tente. Son chapiteau. Puisse que je vous dis qu’on est dans un cocon. Comme des pruneaux. Ou des coqs en pâte. Des lapins dans leur garni. Bref, je sais plus comment on dit. On se dit qu’on est gâté en tout cas. Il nous a prêté son magasin d’art où il y a tout son mobilier, ses planches patinées, ses cadres peinturlurés, ses tables de vieux cafés et ses chaises au dossier trop droit. Et ses murs tapissés. Tout ça qui va ou pas sur une scène. Toute la scène est devant. Ou bien derrière. On ne sait pas bien. C’est lui qui le sait, il parle toujours des seuils. Franchir des monticules, des bouts de palettes, des choses hétéroclites et disparaître, puis réapparaître. Etre ici ou être pas là. Moi je me souviens de son dos une fois. J’ai jamais vu un dos ainsi. Un dos qui s’en allait. On voyait plus les autres. Les autres et leur face à face. Leurs profils et leurs grimaces. Leurs gestes entrelacés, même leur façon de se carapater à eux, ça on regardait pas. On voyait juste ce dos qui s’en allait. Il quittait la scène et c’était bien suffisant. Ça avait fait ma soirée ce dos. J’ai vu qu’un dos qui partait et c’était lui. C’était le clou du spectacle, il fallait pas le louper. Et le voilà qu’il revient. Il entre chez lui, dans son chapiteau. Il entre pas sur scène cette fois, il est juste là, qui avance vers nous. Nous et nos combats pour l’art. Avec nos gestes dans le vide. Nos paroles qui résonnent dans le chapiteau. Nous à gesticuler de l’art à tout va. Et lui qui revient tranquille vers nous. Il s’interrogeait qu’il nous dit. Nous à fabriquer du détail, à filmer le rien, à gueuler vers des rideaux noirs, à se tailler les veines pour du semblant. On joue à du vrai et lui qui entre et nous lance, J’ai vu une pierre. Il y avait cette pierre au bord du chemin. Une grosse pierre. On peut pas la soulever. Nous on comprend rien de ce qu’il nous raconte. On est là avec nos textes, avec notre caméra et nos bouches ouvertes. Nos veines sont prêtes. Les deux autres ils se sont cousu les bras. J’ai pas tout compris de leur démarche. Iis veulent performer qu’ils disent. Ils se cousent les bras pendant des heures. Une performance d’heures. Avec du sang qui coule. Et pendant ce temps lui il se pointe. Il nous parle de sa pierre, sur le chemin. Et nous qu’on arrête nos gesticulations. Toutes affaires d’art cessantes. On ne l’interrompt pas le gars. C’est le grand patron du champ. C’est à lui le chapiteau. Et ça a l’air vrai qu’il a vu une pierre. Il dit, J’ai vu cette pierre au bord du chemin, une grosse pierre. Et je me suis interrogé. Ça fait combien d’années qu’elle est là. Et combien d’années en plus qu’elle existe. Elle est là depuis qu’elle existe ou pas ? En tout cas cette grosse pierre ça fait depuis le déluge qu’elle est là. Et pendant ce temps nous on est là. Pendant le temps qu’il nous déballe sa pierre avec sa bouche. On fait de l’art, on gesticule, on parle. La pierre elle n’a rien fait. Mais quelque chose a fait cette pierre, et nous on fait quoi ? On ne sait pas trop quoi lui répondre. On a vraiment l’air con. Les deux avec leurs aiguilles et leur fil. Et moi qui allais d’un coin à l’autre. D’un rideau l’autre. Il a dû nous entendre. Tout à coup on se dit qu’il se fout de nous, il a a tout capté. Puis il a vu cette pierre. Il a dû être désolé, alors il est revenu. C’est comme nous dire, Cassez-vous. L’art c’est trop sacré. Et faut pas y toucher. C’est ça qu’il nous dit quand il nous bazarde sa pierre en rentrant de sa promenade. L’art lui ne se casse pas. L’art lui il reste là. Il est bien lourd, bien fracturé, bien blessant, bien coupant. L’art est dur et défie le temps. Cette pierre lui a dit tout ça. Cette pierre lui a parlé de toutes ses sœurs et de toutes ses mères. Toute une filiation de pierres qui ont roulées dans sa cervelle. Toutes ces pierres qu’il a vues défiler en regardant celle du chemin. Cette pierre comme une borne. Une stèle. Une balise. Pour rappeler le promeneur. Lui dire de quoi c’est fait la vie. Toutes ces pierres qu’il a senti bouger dans sa pensée d’un coup. Dans son corps même il a senti un effondrement. Un éboulement. La pierre a débloqué un axe en lui. Il a senti une ouverture. Il a vu une faille et il a regardé dedans. Il y avait un amas de pierre dressé sur le temps. On allait rester un moment comme ça, avec tout ce qui bloquait en dedans. Les pierres dont on a fait les églises. Les pierres qui roulent dans les vallées grises. On se croyait dans un calligramme d'Apollinaire, avec ses pierres. Les pierres qui glissent dans la glaise, comme si elles étaient sur de la banquise. Les plaques flottantes, les pierres à voile ou les pierres glissantes, les pierres marchantes. Les marches carrés ou rondes des roches magnétiques. Les pierres qui jamais ne semblent pourtant bouger. Les masses sortent pourtant de terre. Et s’épuisent à monter au bout de millions d’années. Puis ça se réduit comme peau de chagrin. L'effet de la pénéplaine est sur elles. Les pierres qui viennent du continent unique. Les pierres des Appalaches ou des monts d'Arrée. Les cailloux du Gondwana, de la Pangée. Les pierres si chères à Roger Cailloix. L’écriture asémique des failles. Les peinturlures de la lithosphère. La croûte terrestre qui plisse et donne la mère des vents, l’Himalaya. Tout y est passé avec lui. C’est passé par lui d’un coup. Comme un arc électrique. Il a tout compris. Mais nous ça nous pesait. Les concrétions silencieuses. Ou alors il a dit siliceuses. Les pierres projetées depuis les laves. Les bombes qui tombent des volcans. Tout ce matériel créatif, générateur de vie qu’il nous a dit. Il nous l'a même pas dit. Il n'a rien développé de tout ça, l'animal. C'est maintenant que j'y pense, et je me dis qu'il avait raison. Il a juste fait résonner le mot pierre dans sa tente. Ça nous a bombardé avec des ondes. Ça nous grillait tout le corps. Nos caboches tournaient à vide. On voyait plus rien. Il n’y avait plus d’air. Plus d’eau. La vie s’évaporait d’une traite. On pensait maintenant comme la pierre. On se prenait une chute de mots. Une cascade d'incompréhensions. Nous qui étions tout fier et lui avec son mot pierre. Avec ses interrogations sur la création. Lui avec son regard qu'il a porté sur ce chemin. Ce regard de pensées lourdes. Ce regard qui rasait la terre. Et cette vision qui coulait dans l'air, depuis la pierre, comme une évidence. Ça lui paraissait normal, à lui, tous les jours à s'interroger et le soir à boire. Car le soir il fallait boire. Se remettre de la pierre. L’éponger avec de la bière. L'art est patient. Il lui faut du temps. C'est une coulée millénaire, disait-il, avec ses chaînes d'accrétion. Ses plaques tectoniques. L'art progresse en tournant, en rampant. L’art se monte dessus, ça avance à pas très lent. Plus lent qu’un bœuf. Bien plus lent qu’un charriot tiré par deux bœufs. Mais il peut partir vite aussi l’art. il peut partir d’un coup, comme une balle qui traverse tout, comme une boule de lave et remonter les âges dans ses tunnels de feu. L'art remonte ainsi en panaches et arrose l'air et la terre. L'art est d'abord une création de l'univers, pensait-il. Les étoiles en formation. Les escadrons de novae, les trous noirs en observation depuis les noyaux galactiques. C'est comme un art militaire. L’art c’est avant tout une guerre mais pas pour cent ans, ni mille, mais pour toujours. Et nous on n’est pas dedans. On sera jamais vraiment dedans. Nous on joue à la guerre sur le côté. On joue sur les pourtours de l’art. On fait mumuse, nous, à créer aux bordures de l’éternité.