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Gaëlle Théval : La poésie sur YouTube, la poésie dans la vie : les vidéoperformances de Charles Pennequin

Analyse critique de Gaëlle Théval sur le site Fabula en rapport au colloque virtuel : La littératube: une nouvelle écriture ?

!!! Charles Pennequin : poésie tapage - Colloque DE NOVEMBRE 2020 – Université Jean Moulin - Lyon 3 !!!

Annonce officielle du colloque Charles Pennequin sur le site Fabula

TAPAGE

je tape je tape. Je m'arrête pas de taper. Je tape je fais du tapage je suis en train de taper dans la nuit, c’est du tapage nocturne comme on dit, on dit que je tape nuitamment et bruyamment, mais pas tant que ça, c’est du tapage qui est un petit tapage mais qui peut faire du bruit, c’est du tapage qui demande à développer son bruit, un tapage nocturne pour faire bouger les lignes, c’est ça qu’il faut développer dans l’écrit, un saut de lignes, que les lignes soient toutes sens dessus dessous, que les lignes ne soient plus ou qu’il y ait des lignes mais que celles-ci ne désignent rien, aucune direction à prendre, le tapage est un tapage gratuit, un tapage juste pour taper et faire bouger les lignes de la parole, voilà ce qu’il faut un bon bougeage dans le parler, que tout le parler soit bousculé jusqu’à ce que ça fasse un énorme bruit dans la ligne, que le bruit se développe, qu’il fasse enfler le tapage, que tout ce qui est autour soit pris, soit roulé, soit emmené et plié, que tout l’alentour soit arraché, vidé et remplacé par le tapage, qu’il n’y ait plus que le tapage, que le tapage désigne tout, que tout soit au nom de ce tapage-là, et pas d’un autre, que ça vienne pas d’un petit tapage, un tapage rikiki qui fait rien bouger, que le tapage soit un bon tapage nocturne et que même le nocturne soit aussi le jour, qu’on ne sache plus quel mot désigner pour dire qu’il fait jour ou pour dire qu’il fait nuit, qu’on dise simplement qu’il fait tapage en ce moment, que dans ce petit coin d’existence là, tout marche au tapage,

Un article de Nathalie Quintane pour Gabineau-les-bobines

ICI

Gabineau-les-bobines

NATHALIE QUINTANE,  SUR LE SITE DE SITAUDIS :

"Lulu, Gégène, Mamie Reine, Nono et Quatre-vingt-livres, la Tchichette (qui est un homme), Vallonia et tous les tontons, Charpie et Charlie… et le fameux Gabineau, qui donne son nom au livre mais ne vient pas, se fait attendre, pointe son fantôme comme un double de Gégène, son grand ami, les seuls à correspondre et à se correspondre sans doute (mais on se saura pas comment), quand tous tournent et passent, régulièrement reviennent puis disparaissent, dans un jeu d'échos et de reprises qui aurait pu les changer en silhouettes, esquisses, seconds rôles, alors que c'est précisément ce qu'ils ne sont jamais tant il y a d'empathie, de distance et d'amour dans la manière dont ils conduisent le récit — qui est ce en quoi consistent leurs « portraits », mobiles, d'un lieu à l'autre, d'une situation à l'autre. 

Personne ici n'est un héros : on est dans un milieu populaire mais pas seulement (ouvrier, gendarme, instituteur, professeur…), en famille (beaucoup d'enfants, des brus, des belles-mères, des frères et des sœurs ; le père : Gégène ; la mère : Lulu), plutôt catholique, et dans le Nord (le Cambraisis, à Thun-Saint-Père, dont on se demande si les habitants sont les Thunépéréens ou les Thunépérins, voire les Thunépatériens — Pennequin et le lecteur s'amusent bien avec les noms propres). Les bobines de Gabineau, ce ne sont pas seulement les tronches ou le défilé des visages, mais aussi celles d'un film, de films, les films du livre, comme il y a les musiques du livre. Régulièrement passent des allusions aux enregistrements, pellicules et bandes, K7, où puise un récit sans chronologie (on devine Charlie enfant, puis Charlie père de famille et enfant à nouveau, par exemple), où les personnages se télescopent au propre comme au figuré (c'est vachard aussi) dans un temps sans queue ni tête, avançant par sauts brusques, dont rendent compte la syntaxe et l'absence de virgules : « En quatrième Charlie est tonton deux fois de suite et au réveillon du nouvel an il y a un accouchement en direct d'un bébé qui aura vingt ans en l'an deux mille. »

Quel seuil Pennequin a-t-il dû passer pour que le poète qu'il est écrive (enfin) le roman qui l'attendait ? C'est sans importance pour celles et ceux qui liront ce livre auquel il n'y a rien à retrancher, peut-être parce que l'auteur a, lui, volontairement ôté tout ce qui pouvait à la longue virer aux tics poétiques qui font encore la misère plus que la fortune de tant d'épigones. Fin d'une époque. "