je glisse
je glisse sur le côté
je me remets
je suis à la même hauteur
je disparais
je reviens
je glisse à nouveau
je descends vite
puis je remonte plus haut
j'espère rester longtemps
ça veut dire quoi espérer
qu'est-ce qu'on met dans espérer
c'est qu'on met une grosse couche
entre soi et la fin
on tire un fil
on espère que le fil
sera long
qu'on n'en voit pas le bout
trop vite
espérons que si je tire le fil
il ne se casse pas non plus
je vais tirer fort sur le fil
de toute mes forces
je m'agrippe
je tire pour voir le bout
j'espère rester en équilibre
pour voir le bout
je suis à un certain point
du bout
je gagne un point
et je vais au bout
et j'espère voir l'autre
l'autre bout et moi
c'est toute une histoire
l'autre bout et moi
c'est toute une vie fabriquée
avec des bouts de chandelles
comme on dit
mais ce ne sont pas des bouts de chandelles
c'est des bouts de moi à parcourir
et on gagne parfois des points
*aucun de nos mots ne tiendra la route.
*il fait tout noir et on comprend rien.
Ce sont les combinaisons qui complotent, ce sont les faits mille fois recoupés, les faits sans cesse élagués pour mieux les simplifier, la machination des désirs qui n’arrête pas de retraficoter le réel et que celui-ci, enfin dépouillé de ses ombres finisse par monter en épingle, ce sont les mouvements électriques et numériques des pensées les plus plates avec les voix automatisées dans les perpétuels micros, les images toujours montées et démontées vitesses grand v, comme des armes à feu, ce sont tous ces flux sectionnés et racornis remis bout à bout et que ces manipulations, ces compositions machiniques habituels, finissent par faire exploser le cadre, que la mayonnaise monte et que l’actuel tourne au vinaigre, ce sont toutes ces opérations de bidouillages incessants sur la réalité pour la rendre la moins plurielle possible et la faire ainsi glisser dans des goulots de plus en plus étroits, ce sont tous les aboiements mortifères en écho sur des grosses chaînes câblées, des moteurs sans chercheurs avec diverses routines écrites avec les pieds pour que passe en boucle un réel tronqué, ce sont toutes ces pelleteuses d’émotions, les broyeuses d’idées noires, ce sont les expertises robotisées sur des signes insignifiants, le retraitement de l’oubli et la systématisation des vérités, la science et l’histoire qu’on fait tourner en eau de boudin et les avis éclairés stagner dans des sempiternels bassins de décantation, tout ça constamment repassé dans ces vieux tuyaux où coule avec régularité un même bruit, c’est toujours les tableaux infinis de permanences, les trois/huit dans la simplification du vivant qui finit par créer la peur extime de chacun, qui n’est d’ailleurs plus un chacun, mais un être évidé, un individu dévalué dans ses mots, dépossédé de ses errements, ses flottements, ses silences ou ses embryons de pensées, c’est tout ce sinistre sérieux passé au crible, mais un crible bon marché, c’est tous ces mouchoirs sales où s’abandonnent les pseudos analyses et s’alimente l’indignation, ce sont tous ces générateurs de bonne conscience couplés à des pools de recherche sans brouillon formatés en usine, ces fédérations de machines à écrire sans dactylos puis de compilateurs de données où ça torche un même journal à tous les quotidiens, c’est tout ce monde systémique puissamment armé de développeurs incultes, ce sont toutes ces parades qui se défilent, ces défilés dans la dérobade, les manœuvres laborieuses de tous les bruits de couloirs, grincements de portes et chuintements d’ascenseurs, la conspiration de divers appareils, machines à café et à jacter, imprimantes et crachoirs, outils à spéculer et potins en streaming, tous ces spams traduits en discours, cette chaîne de montage de bourrichons, ces fuitages décervellés et bombing de sermonts, toute cette soupe virtuelle et les protocoles d’inaction qui font que ça monte en flute, ça cogne l’opercule et que ça s’excite dans des tubes, puis qu’une mousse fleurisse enfin sur les bords d’une grosse cocotte minute, que ça flippe et ça crie, que ça file et se tend, qu’on entende ainsi des balles siffler, des pneus crisser, que ça explose et meurt et fasse un trou, un petit trou qu’on rebouche un peu vite avec ce même gratin marronnasse, cette colle granuleuse, mais que les trous s’ouvrent encore et que les bords s’abouchent, que tous les trous finissent par se toucher, qu’il n’y ait plus que ça à enduire, ces bords de trou qui sont un peu nous, que ça soit nous malgré tout et que ça nous déborde encore, mais qu’on ne soit plus que ce débord là d’un trou, celui d’où qu’on boute en touche.
l'humain conspire l'ennui
et l'ennui ne fait pas toujours transpirer
l'humain est le pire de lui
ou presque
il est lui dans sa version
débordée
c'est à cet endroit là que ça fuit
dans ses extensions
qui viennent lui capter ce vide
mais lui capte rien, il capte
pas que c'est là
où il prit la tengeante que ça cause
et débite et complote
après : soit on capitule, soit
on récapitule.
Plogoff, le 12 janvier 2001
Cher Jacques,
Merci de ton appel. Il tombait à point nommé, comme on dit. Cela m’a fait sortir de la boule l’être qui ne demande qu’à respirer au dehors. J’ai pris mon bain et j’ai écouté l’émission où j’ai eu le plaisir d’entendre Christian. Christian qui expose certaines vérités. Je sais qu’il a raison et ma guérison serait de répondre, non pas forcément en établissant des liens généalogiques mais en parlant de la difficulté d’être, d’être soi et de parcourir la langue comme un perdu, un sans langue devant se déchiffrer, déchiffrer l’autre pour se voir renaître.
Je trouve que nous sommes trop techniciens, alors que notre problème est ailleurs, nous parlons de la langue sans faire le véritable parcours de l’homme muet qui veut naître. Nous ne parlons pas assez de la notion de spectacle. Que nos lectures ne soient pas liées au spectacle, même si nous cédons, une fois ou deux, ou plus, à la demande, même si nous cédons trop souvent à la doucereuse convivialité. Notre affaire est une affaire de crime, un véritable désastre pour soi, un véritable acte de pendaison. Nous devrions prendre tout acte de sortir dans la langue comme un acte suicidaire, comme si nous voulions prendre la voix comme une corde pour se pendre. Nos gentillesses, et c’est bien cela que Christian Prigent récuse, nous perdent. Il ne faut pas être gentil. La peur, seule, est la chose qui nous maintient en vie. La peur comme celle que l’on peut avoir d’être en pays ennemi, sans langue et sans ami pour partager quelque signe que ce soit. La peur d’être réellement offert et de montrer la mort de tout, c’est ça qui montre l’individu qui attend sa naissance dans sa propre maladie à être et à exister démocratiquement parlant.
L’être n’est pas démocratique, s’il veut exister il n’y a pas de société ni de monde qui ne tienne. C’est bien là le drame auquel nous sommes exposés nous qui écrivons. Je sais que tu es parfaitement au courant de ces choses. Nous le sommes tous. Je te dis cela parce que j’ai besoin de l’entendre dire, suite à tout ce qui s’est joint dans ma vie pour que je me taise définitivement. Nos pères, la patrie, Dieu ou la société actuelle veut qu’on se taise et qu’on remplisse le rôle qu’on nous assigne. J’ai vu à quel point j’ai failli sombrer dans l’autre, mais j’ai bien vu l’autre comme mangeur de ma propre force. La force d’être résolument, 1, vivant 1 seul temps, projeté chaque jour à faire table rase. C’est là ma fatigue et lorsque tu m’as appelé j’étais bien au chaud dans mes couvertures, comme livré à mes songes sans pouvoir me sortir vraiment de cet autre, comme envoûté ou possédé. La femme, l’enfant, tout ça c’est en nous, ça nous traverse, et Prigent a encore mille fois raison d’évoquer l’âme, comme les anciens, comme on évoque le réel. La difficulté est seulement à chaque fois d’assister à son propre dessaisissement de soi-même, à sa propre extinction et dépossession pour enfin se revoir, ne serait-ce que 5 minutes, s’atteindre enfin. Oui, c’est comme un crime total, le crime pur. Je ne sais pas encore quoi faire véritablement avec mes pensées qui me retournent, des paroles obsédantes, et qui m’inquiètent, comme si j’étais branché à quelqu’un d’autre, comme si j’attendais son aval pour exister, mais pour exister comme un bout d’organe, un tuyau, un simple outil qui ne sert à rien qu’à battre en l’autre.
Il me faut massacrer l’idée de l’amour. C’est très pernicieux l’amour. Sinon je cours à la catastrophe de moi-même, c’est bien ce qui a fini par arriver et c’est bien ce qu’appelait Rimbaud le grand « COUAC ». Oui, nous sommes bien dissipés et trop faibles, et oui « la vraie vie est absente » et nous ne sommes pas au monde. Quand on dit « le sommeil dans la richesse est impossible » c’est bien de spectacle qu’il s’agit, de joie partagée et d’amour. Et tous les chefs-d’œuvre pourraient nous aider à nous prélasser. Écouter la musique et boire à perdre ses sens, se laisser aller à dormir. Souvent, bien souvent, tout cela me dépasse, trop souvent, comme une nourriture qui gonfle la tête et nous empêche de penser, de se penser.
Nous ne pouvons pas nous contraindre malgré tout, nous sommes inconsolables même face à la pureté, celle-ci ne peut nous rendre éternellement heureux. Toute œuvre recèle son poison. L’enferme. Ce poison on le sent, on se sent empoisonné par la douceur d’être. Mais que puis-je affirmer de nouveau de tout ce qui a déjà été dit, alors que c’est même dans mes rares moments de lucidité que je développe ces malheureux concepts. Même un babouin pourrait dérouler ça dans son esprit d’une meilleure manière que je ne fais ! Que puis-je dire d’autre que ce que Nietzsche a déjà avancé sur la démocratie, sur la notion de but, chère aux humains et aux grands totalitarismes. La notion de guerre, la notion de mal, la notion de vide à être pour être, tout ce qui rend la complexité de notre rapport au monde. Je suis dans le désarroi de celui qui vit et que tout manque. Lui-même se manque, s’attend, s’inquiète. Je suis, comme toi, dans l’inquiétude.
Que puis-je avancer d’autre, que d’être dans de la peau inquiète, d’être et d’attendre quoi. Je peux juste affirmer que dans la société actuelle, comme dans les autres civilisations après tout, on nous interdit la démesure. Il y a tellement d’exemples de demi-mesure. Voilà ce qu’une femme me reproche, aujourd’hui même, et tout ça après s’être plainte de moi de la trop grande maîtrise de soi que lui impose le monde ! C’est du délire ! Je me suis écroulé devant tous et j’ai pleuré toutes les larmes du monde comme un enfant. Comme une petite bête à bon dieu que je suis. Cela reviendra, certes. « Le tour de bonté sera plus long à se reproduire qu’une étoile. » Pas de bonté dans nos écrits, que de la cruauté comme réclamait Artaud. On comprend rarement ce que cela veut dire. On comprend rarement le mot « vérité ». On a parfois des attitudes de journalistes face à cela. Mais est-ce qu’on nous laisse un temps de répit ? Pour ma part, je n’ai jamais eu de répit dans ma vie. Tout concordait pour que je n’embrasse pas la « carrière » des lettres. Comme si on avait placé en moi depuis la naissance un flic, comme s’il me fallait faire flic avec mon être intérieur.
Je m’excuse d’utiliser ces mots « être intérieur ». C’est peut-être débile et déplacé et je devrais être honteux d’avoir à utiliser ces termes. Je suis devant le dégoût de ma propre écriture, devant le dégoût d’avoir à me vendre, pour exister. Je suis marchandable, je ne suis pas disponible sur le marché et actuellement je suis prêt à dénoncer celui qui m’a fait écrire ce que j’ai écrit, et d’avoir cédé, malgré tout, oui, aux sirènes de la gloire imbécile. Je voudrais dénoncer ici la mondanité à laquelle on cède tous, forcément. On est dans les salons, les marchés, les lieux poétiquement corrects et chiants. On devient chiant, à force de se chier dessus. Il faudrait tous qu’on disparaisse un bon coup pour fomenter quelque chose de terrible. Ce ne sont pas des mitrailleuses qu’il nous faut, mais c’est faire front face à l’atonie, celle que nous provoquons aussi avec nos palabres et nos discours pompeux, on cire trop les godasses aux institutions. On est trop gavé, on pense être libre et en réseau alors qu’on est bourré d’aides, de vacances en résidences et nous ne pensons plus réellement, ça tourne rond. C’est bien de cela qu’il s’agit dans « les modernes ». Tous les mots de théorie vieille pourtant (l’écriture se doit d’être…) me désolent. C’est comme mendier en faisant croire qu’on se révolte. Mais il y a dans ces démarches comme une volonté d’enfoncer un couteau dans le ventre mou de notre époque, avec ses pensées mortifères de techniciens en mal de véritable outil pour attaquer. J’en ai soupé des technologues comme Roche Denis dénonçait les logiciens. On n’est plus rempli que de ça alors qu’il nous faudrait gueuler ou rendre le débile de l’existence dix fois plus débile.
Nous sommes des débiles et le formalisme et la technique et la technologie ne doivent pas complètement nous recouvrir de merde. Ça ne sert que les salons ou les bons mots et les rires friands circulent. On n’a toujours rien à voir avec cette poésie-là, tu le sais, on le sait tous, et aujourd’hui tout le monde pourrait rire de ce que je dis, que c’est désuet, etc. Je veux bien utiliser tout ce qui se présente, entendons-nous là-dessus. La télé m’intéresse au plus haut point, tu le sais, et je peux utiliser ces médiums bien sûr, mais pour montrer bien plus que mon petit trou du cul d’être dans sa vie de trou du cul verrouillée de l’intérieur. Nous avons maintenant à nous dépoussiérer encore et encore, à arrêter de dire le mot langue ou réel à tort et à travers. Moi je ne sais rien du réel et de la langue, je ne sais rien de moi, je ne sais rien des morts, je ne sais rien de tous ces mots qui nous pourrissent, comme des enfants gâtés d’avant-gardisme. On en crève des avant-gardes, Jacques. Ils nous ont fait crevé avant qu’on naisse, qu’on naisse avec sa propre naissance comme sa propre maladie. Oui, on a tous un goût amer dans la bouche et on préfère se taire. Il faut vraiment montrer notre bêtise. J’ai dit moi-même qu’on était entre copains et qu’on faisait des trucs, pour me débarrasser, pour faire le guignol. Et c’est ça que Christian Prigent a raison de dénoncer. De dénoncer nos petits trafics qui tournent en rond, en toute convivialité. Seulement j’ai failli avaler une grosse gorgée de bouillon, la grosse soupe que moi-même je m’étais préparée. J’ai faim. On a tous faim d’autre chose, on voudrait tous se casser la gueule, se défenestrer, se pendre vraiment mais on laisse faire, on cultive son petit jardin d’écriture bizarroïde, on se comprend plus du moins mutuellement, on se respecte parce que le monde est pareil pour nous tous.
Oui, c’est bien les anthologies, tout ça, mais je ne suis pas fondamentalement d’accord avec tout et il faudrait vraiment faire la guerre à cela et être contre la demi-mesure qui nous lie trop au monde dans lequel on est. Je sais que tu sais cela de long en large et que toi aussi ça te reste dans la gueule et que ça te provoque des insomnies terribles, je sais que comme moi ta gentillesse couve une inquiétude véritable. Pourquoi ne pas provoquer plus, alors, cet abrutissement qui nous fait résolument nous taire ?
Je suis fatigué, fatigué des lectures et du public et des applaudissements, fatigué des lieux sereins, comment veux-tu improviser en lieu serein et propre alors que c’est dans une boucherie que je suis provoqué, que c’est la vie sociale et ses petits tracas d’existence qui me révoltent et m’abattent plus souvent encore ? Si j’écris sur la télé, c’est à cause du silence de la télé, à cause des écrans que nous proposent la vie actuelle, nous sommes face à des écrans et nous causons, communiquons, sans réellement parler et sans réellement écouter et sans réellement se taire. Pourquoi on ne dit pas plus souvent que notre poésie est prolétaire et pauvre et que nous ne sommes que des chiens encravatés pour la circonstance mais que les lieux publics nous sont interdits, parce que nous ne sommes que des élémentaires, nous ne voyons que l’élémentaire et que tout le reste n’est qu’invention et confort. Rien n’est neuf, certes, là dedans mais il faut qu’on voit ça avec des yeux neufs, des yeux et une bouche pour maintenant.
Bien à toi cher Jacques.
Charles.