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NOUS ALLONS DROIT AU MUR

 

nous allons droit au mur, c’est une attitude, nous y allons droit, nous ne pouvons changer de chemin, c’est la route la plus droite, c’est le chemin le plus droit pour en finir, aller droit au mur car personne n’osera, nous sommes une sorte de porte flambeau de la génération, celle qui va droit au mur mais que ne le désire pas, qui tergiverse, qui fait mine de prendre des chemins dérivés, des routes de traverse, mais qui en fait suit la même ligne, celle qui va droit au mur, mais nous nous avons décider de le dire haut et fort, nous y allons droit et avec prestance, la tête haute, nous avons toujours été de cette génération et nous n’en sortirons pas, à moins d’en sortir la tête haute en affirmant ce que les autres refoulent, car personne n’accepte ce fait très certain, tout le monde est dans la fuite, tout le monde subit l’invraisemblable fuite, alors qu’aucune fuite n’est possible, nous allons droit au mur et nous irons gaiement, nous ne pouvons faire autrement que d’y aller gaiement, car déjà nous sommes une génération morte, morte sur pied la génération, à peine née qu’elle fut déjà morte, car n’ayant rien à ajouter que les précédentes, attendant qu’il se passe quelque chose, ne serait-ce dans les suivantes, mais les suivantes ne font que nous suivre, les suivantes seront des générations de suiveurs, mais aucune n’ira autant droit au mur que la nôtre, c’est notre point fort, c’est notre fierté à nous, si nous daignons l’accepter, que d’aller droit au mur, il faut donc faire le nécessaire pour y aller au plus vite, il faut donc faire tout notre possible pour aller droit au mur et le plus vite sera le mieux, et la tête haute s’il vous plait, il en va de notre génération, il en va de tout ce qu’on a cru défendre, tout ce qu’on a cru entreprendre et qui a pourri sur pied, qu’au moins le fait d’aller droit au mur ne soit pas un acte manqué, mais pleinement assumé, qu’on aille droit au mur la tête haute, comme des portes flambeaux de tous ceux qui vont droit au mur mais s’y refusent, qu’ils voient en cet acte un possible pour eux-mêmes, qu’ils ne soient pas sans dire que nous avions raison, que notre geste fut la raison même, la sagesse même, qu’aller droit au mur est notre seule voie, que cette voie-là nous appelait depuis le plus jeune âge, et qu’il fallait en terminer avec les âges, tous les âges, les âges de tous ceux qui se refusaient à aller droit au mur gratuitement, à chaque génération il a fallu aller droit au mur, mais pas gratuitement, avec des prétextes, aller droit au mur mais en évitant le mur, en inventant une foule d’excuse pour annuler le mur, que le mur ne soit plus un mur, qu’il n’y ait plus de murs, qu’on dise qu’il n’y ait plus de murs et qu’on en rajoute, car à force les murs se sont rajoutés pour les générations, les générations qui faisaient exploser les murs, elles ont remis des murs, les murs explosés et d’autres, elles les ont mis pour elles mais aussi pour nous, elles ont bâti des forteresses les générations à force d’annuler le mur et de nous faire croire au possible, le possible du non mur, alors qu’il n’y avait que l’impossible, et eux traitaient aussi de l’impossible, mais c’était l’impossible du mur, alors qu’il n’y a que le possible mur, ça au moins c’est possible, nous pouvons nous raccrocher à ce fait, nous allons droit au mur et c’est notre seule ligne, notre seule véritable route qui nous mène à notre seul véritable endroit, le mur, nous serons les portes flambeaux de la génération qui va au mur, coûte que coûte nous n’aurons de cesse de réaffirmer notre volonté, c’est viscéral, c’est inscrit dans le corps de chacun, le tout un chacun générationnel, il faut aller au mur, et rapidement s’il vous plait, et nous prendrons les devants, nous irons en reconnaissance, ensuite la génération suivra, et toutes les générations de suiveurs, même celles d’avant, les générations d’avant nous suivront, tout le monde ira au mur, car nous savons nous que notre destin était scellé d’avance, que depuis le plus jeune âge nous allions droit au mur, qu’il n’y avait aucun échapatoire, tous les échapatoires qu’on nous a dressé pour nous empêcher, pour taire notre volonté d’en finir, on nous a inventé tout un tas de stratagèmes pour nous contraindre à ne pas voir le mur, maintenant ne le voyons, maintenant nous sommes tout près, maintenant nous pouvons dire que nous sommes déjà morts, nous sommes une génération en surcis, mais déjà morte, au fond d’elle ça sent déjà le cadavre, au fond d’elle la génération sait ça, elle sait qu’il n’y a plus rien à espérer, elle a douté au début, au début elle a pensé se détourner de sa raison d’être, au début on lui a fait prendre mille chemin, au début la génération s’est sentie vaincre son mal, au début la génération, comme toutes les générations d’imbéciles qu’il l’ont précédée et qui la suivront, au début elle a pensé qu’elle avait des choses à dire, alors qu’en fait elle n’a rien ajouté de plus, ou alors une ribambelle de faux semblants, une ribambelle d’attitudes sans intérêt, une ribambelle de possibles et d’aventures dans le possible, une ribambelle d’inventions sans intérêts avec beaucoup de blabla autour, une ribambelle de blabla, voilà la vraie définition de notre génération, la ribambelle des blablas, rien d’autre, maintenant il va falloir s’harnacher à la vérité, maitenant il va falloir s’accrocher à du réel pur mesure, pas de mesure autre que la pure mesure, c’est-à-dire la vraie démeusure, et pour des générations et des générations, nous passerons pour les porteurs du desespoir complet, nous passerons enfin pour ceux qui ont osé aller au mur sans rien demander en retour, qu’on aille au mur et le plus tôt sera le mieux, qu’on y aille et qu’on n’en parle plus, qu’on n’en fasse même pas état, qu’on aille au mur et qu’on en finisse avec toutes ces générations de détourneurs, ces générations de béni oui oui, ces générations d’incapables, ces générations et la notre en particulier, de fausses trouvailles et de fausses paroles, sauf la ribambelle des blablas, la génération qui blablate alors qu’il y a autre chose à faire que blablater, il y a le mur et point barre, pas d’alternative ni d’atermoiement, une seule route possible, un seul chemin tout tracé, et pour nous et pour les autres, pour tout un chacun, car tout un chacun le sait, dans son for intérieur, tout un chacun sait que nous allons au mur, alors autant y aller la tête haute et sans que les jambes ne fléchissent, sans que le corps s’abaisse, sans que la tête rentre dans les épaules, sans que les bras mollissent, nous irons sans coup férir, droit comme des i, et point de reculade, car de toute façon nous savons que c’est peine perdue, la reculade c’est remettre à demain, la reculade c’est pour les faibles, la reculade c’est pour tous ceux qui ignorent ce fait, qui tentent de l’ignorer, la reculade c’est pour tous ceux qui ont tenté par toutes les manière d’éteindre notre volonté, la reculade c’est pour tous ceux qui ont pensé nous éloigner de notre ambition, la seule, il faut en finir avec la reculade, avec les marches à reculons, avec les faux obstacles, ceux qui mettent des pièges dans votre pensée, ceux qui ne pensent qu’à piéger vos actes les plus purs, il faut des actes purs, il faut des gestes et des actes sans comune mesure, il faut des actes décisifs et des paroles qui tombent comme des couperets,

Bonjour!

 

Lecteur de

Shiltigheim

La tronche

Carvin

Le petit-Quevilly

Montataire

Blagnac

Ramonville-st-Agne

Lons

Lunel

Montrouge

Neuilly-sur-Marne

Noisy-le-Grand

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Ainsi que les lecteurs de Belgique et d’ailleurs

 

Voici mon nouveau texte :

C’est l’histoire d’un homme qui a un corps sur lui

L’homme s’interroge

L’homme se demande pourquoi il a ce corps

Ce corps est sur lui

C’est l’histoire d’un homme et d’un corps

Le corps est dessus

Le corps domine l’homme

L’homme se pose des questions

Les questions sont sur l’homme et le corps

L’homme se demande « que faire de ce corps ? »

L’homme se dit « pourquoi un corps ? »

L’homme voit le corps

Il se demande : « pourquoi j’ai ce corps ? »

Le corps est sur lui

L’homme cherche les réponses

Les réponses sont dans le corps

Les questions dessus l’homme

Quoi faire de ce corps ?

Pourquoi j’ai un corps sur moi ?

A quoi ça peut me servir d’avoir un corps sur moi ?

La belle affaire d’avoir ce corps là !

 

Les corps se touchent

Les corps s’embrassent

Les corps sont assis et basculent

Ils se touchent

Sont longuement là

Puis plus là

D’un coup plus là

Puis re-là

Les corps sont ensemble

Forment des groupes

Il y vont

Puis reviennent

S’assoient

Se touchent

Se rassemblent tous et se quittent

Ne se connaissent pas

S’ignorent

Et meurent ensemble

Mais s’ignorent

Mais meurent

Mais d’autres vivent

D’autres se voient

Se connaissent

Se croisent

Les corps sont dispersés

Les corps sont différends

Observent leur différence

Observent leur ressemblance

Passent leur temps à s’épier

Et à s’ignorer

Les corps sont ignorants

Se rassemblent

S’ignorent ensemble

Longuement

Puis meurent

Puis ça meure

Puis non

Les corps s’aiment

En font d’autres

Et puis non

 

l'invention de la vie

Ce matin même j’ai inventé une bombe qui va faire sauter la planète toute entière. C’est une invention toute simple. Personne n’y avait encore pensé. Pourtant c’était très simple à faire. J’ai fait ça dans ma cuisine, juste sur ma table en formica. Une bombe toute bête et rien de plus simple pour la manœuvrer. Il y a juste un gros bouton, avec marqué dessus : « boum ? ». On appuie et la planète vole en éclat. La planète toute entière je dis bien. Ce matin je me lève, hop, j’invente la petite bombe révolutionnaire en cinq minutes sur le coin de ma table en formica. Personne n’y avait encore jamais pensé jusqu’à ce jour. Certains avaient échafaudé quelques plans surgis de vagues idées, d’autres touchaient presque au but puis s’en éloignaient rapidement. Un nombre incalculable de savants se sont penchés sur la manière dont on pourrait faire péter la planète en un seul coup, mais personne n’a vraiment réussi à développer l’outil qu’il fallait pour la faire exploser, déjà parce qu’un nombre incalculable de savants n’imaginaient même pas que c’était possible, que ça resterait définitivement du domaine du rêve, alors qu’il suffisait de se pencher un peu sur le problème et de trouver la solution. Une solution vraiment toute bête. C’est si simple et pourtant personne, je dis bien personne personne personne n’y a jamais pensé jusqu’à ce jour ! Alors que c’est vraiment tout bête tout bête tout bête. Il suffisait juste d’y penser. Du coup, maintenant, dès que l’envie me prendra de tout faire péter, j’appuierai sur boum et j’enverrai valser la planète dans l’espace, toute la planète réduite en miette. Plus de plantes, plus d’animaux et plus d’humains. Terminé ! juste avec l’engin que j’ai inventé ce matin sur la table en formica de ma cuisine. Il reste plus qu’à prendre en otage tout le monde, tous les peuples, tous les animaux, toutes les plantes, ou sinon je fais tout péter.

Eric Clémens, à propos de Pas de tombeau pour Mesrine (Al Dante)

TROIS BALLES DANS LE TEXTE

 

SERVITUDE VOLONTAIRE VS. MEDITATION POETIQUE

 

Rien d’étonnant si Pas de tombeau pour Mesrine[1] commence par s’en prendre à la censure éditoriale, à l’incommensurable médiocrité romancière qui correspond à la commande des éditeurs, et s’il en donne d’emblée la raison sociale, l’asservissement volontaire : ce livre découvre une autre façon d’écrire et qui plus est une autre façon d’écrire une « biographie » ! Car son style est singulier, méditatif et poétique à la fois, alors qu’il se devait de raconter une vie en guise de tombeau…

 

Soit donc cette commande : écrire la vie romancée de celui qui fut l’ennemi public numéro, Jacques Mesrine. Et la résistance de l’écrivain Charles Pennequin « à l’incursion cursive dans le roman pour trous-du-cul ». Pourquoi cette résistance ? Parce qu’il s’agit d’inventer une fiction, pas de prolonger une hallucination. Que la figure médiatique de Mesrine ait été celle d’un assassin, d’un bandit de grand chemin ou d’un martyre, l’enjeu n’est pas là : ces trois figures plus ou moins combinées relèvent de l’imaginaire romanesque dont la fonction sociale est de marchander le spectacle par la projection narcissique – on sait l’affligeante domination de la dite « autofiction » dans la production française actuelle. L’enjeu apparaît dès lors : ne pas servir le spectacle, et s’élargit : résister à l’asservissement généralisé. Car le sujet réel du livre est là : dans la question posée à la mort spectaculaire de Jacques Mesrine, au tombeau introuvable du fait de cette spectacularisation et, au bout du conte noir, à l’asservissement spécifique auquel elle a donné lieu.

D’où vient la servitude volontaire à l’époque où nous ne sommes plus censés croire en l’Un, tels les contemporains de La Boétie subjugués par le Roi, puisqu’après tout nous sommes des contemporains de la démocratie représentative ? Question que l’écrivain transcrit : D’où vient « l’étouffement généralisé » que manifeste la vie et la mort, fascinées autant que fascinantes, d’un truand ? Et la réponse, méditée et poétique, apparaît double : de l’époque et de la mort – « sa vraie tombe elle est dans l’époque »…

 

Notre époque, en effet, est « une sorte de couvercle (…) une mise en bière de toute époque un peu révolutionnaire, car notre époque est une époque de pensées révolues, nous sommes des révolus je me dis en marchant dans les allées du cimetière ». Or Mesrine a catalysé cette époque de façon redoublée : se révoltant contre « l’instinct de mort » (c’est le titre de son livre d’un journalisme des plus médiocres) et y cédant dans sa révolte même, par l’assassinat. Nul doute qu’il cherchait à s’évader de mille et une façons, de la prison comme de l’époque, refusant la passivité, l’attente, l’étouffement. Et cela explique la fascination dont il a fait l’objet : « premier de la classe morte de ceux qui ont l’instinct de vivre, il y avait qui sinon personne (…) il n’y avait que l’individu Mesrine face à cinquante millions de consommateurs, il y avait le Un de Mesrine face à tous ces numéros, et le numéro du président de la République ». Autrement dit, dans cette représentation imaginaire de Mesrine-Pennequin, la démocratie consumériste produit un anti-Un qui reste prisonnier de l’asservissement à l’Un : « il y avait le Un tout seul de Mesrine, face à la force, à toutes les forces » ! 

 

Parce qu’il ne sert à rien de se leurrer : dans le sursaut aveugle de vivre, Mesrine a cédé lui-même à l’époque, à l’idée d’une fin du « moderne » préparant le pire « post-moderne ». « Animal poético-médiatique, il faisait son numéro spectaculaire », jouant le jeu journalistique et torturant un journaliste, du même coup cédant à la mort, au fond de tout asservissement. Voilà pouquoi, « si Mesrine était là et qu’il se présentait aux élections présidentielles, il dirait peut-être ça, ne votez pas, mais butez-vous tant qu’il est encore temps, et sortez-vous du tas de votants ». Ce qui témoigne de sa souffrance, certes, mais celle de « l’homme démuni de lui-même, démuni de sa propre histoire, l’homme qui vit au temps de surveiller et punir ». Et qui ne survit que par la mort : « lui ce qu’il voulait c’est vivre, il voulait vivre et se venger de ce qu’on avait gangrené en lui ». La vengeance tue sans action, qui n’a lieu qu’avec les autres pour un autre commencement, sans même un faire poétique, qui n’a lieu que dans les langues des  autres : « Mesrine faisait de l’éthique à deux balles, c’est une sorte de poète, mais à deux balles, c’est un poète avec des barillets »…

 

En travers de cette fiction, l’écrivain Charles Pennequin nous aura effectivement forcé à dévisager notre propre asservissement. Le texte qui clôt le livre l’écrit en caractères gras : « Ça pue la ressemblance la France. La remouvance. Recouvrance de l’Etat. C’est l’Etat France. Ça pue l’Etat car la France ça rassemble. La ressemblance rassemble. C’est le ramassement de tout qui pue parce que ça s’oublie. » En travers du « pas de tombeau », cette fiction poétique médite sur la chance du « pas de mort » dans la vie, la sortie tenace mais lucide de l’asservissement dans le semblant. « Dans tout corps qui pue une idée qui est comme un bouchon. Et qu’il faudra faire sortir. » Pour gagner au dedans la pensée du dehors : « Toute la respiration du dehors. Tout le respirant qui pourrait faire que ça pense dedans… »

                             Eric Clémens

[1] Editions al dante, 2008, 87p.      

Problème numéro 2

 

Le problème c’est que je ne suis pas un artiste quelque part. Quelque part en moi il y a l’impossible artiste qui est là et qui veille. Car tout ce que je fais n’est pas nourri par la volonté de trouver et de renouveler, d’avoir une nouvelle idée et de la former puis de s’en servir. Tout ce que je fais n’est pas inscrit dans la volonté de se démarquer, puis ensuite de breveter après invention, de rentrer enfin dans le bercail des galeries et dans les discours de vieux qui ont déjà tout fait et tout vu. Je ne sais pas chanter, je ne sais pas poser ma voix, respirer, j’oublie de respirer et de parler par le ventre, et c’est la rage presque seule qui va former le dessin et non la technique. Je n’ai rien contre la technique cependant. Seulement, la technique dépasse les techniciens. Car les techniciens oublient que la technique est plus vieille que le plus vieux des techniciens. Tout comme la technologie. Les technologues s’imaginent que nous sommes encore dans un devenir technologique. Alors que c’est à partir du moment où l’homme arrête d’être singe qu’il est dans son devenir technologique. Les machines ont le mérite d’emboucaner l’intime. L’intime fait gros bruit grace aux machines et non grace au beau grain de voix de l’acteur. Il vaut mieux être un beau grain de fille qu’un beau grain de voix. La voix passe par les oublis de la bande et par les trucages les plus diverses pour dicerner mieux. Mieux dire et cerner soi par la bidouille. Mais est-ce vraiment important de vivre ces passages à la bidouille ? car ce qui reste de l’artiste est bien souvent son passage dans la technique, la forme. Son passage à la forme est son passage par les armes. Les armes des artistes. On peut dire alors qu’il est reconnu parmi les siens. Cependant, tout ce qui dépasse la relation est pour moi sans grand intérêt. L’art doit aussi être là pour la relation. Deux ouvriers peintres qui peignent un mur, un haut mur de béton, ou qui l’enduisent, ces deux travailleurs là sont pris par leur travail et n’ont que des relations minimes entre eux. Pour moi, le drame est là avant toute chose, il nait de l’impossibilité relationnelle entre les êtres. La création doit favoriser la relation. La création est le possible relationnel. Deux hommes qui enduisent ou qui peignent, ou deux travailleurs qui sont dans des bureaux, deux bureauliers ou bureaulières et qui ont des soucis téléphoniques, deux comptables avec des soucis de paperasse, ou toute sorte de soucis ne peuvent se concentrer sur la vie nue. La vie est nue entre nous. Nous faisons tout pour nous éloigner la vie nue. La vie sans rien, sans phrase et sans bagage littéraire et sans technique ouvrière ou artistique. Alors sans doute, le mot relationnel ne va pas. Car déjà un artiste s’est soucié de cela et a fabriqué des précepts pour faire le forcing dans les galeries avec ses nouvelles idées. Et du coup, nous avons inventé « l’esthétique relationnelle », qui est une fumisterie pour les salons, les vernissages et toutes sorte de mondanités. Rien à voir avec ce que nous appelons le problème de la relation. Il y a dans le geste du travail à plusieurs, quelque chose qui passe et obscurcit toute possibilité de voir la vie sous le bon œil. Il y a quelque chose qui pèse, quelque chose qui nous arrive dans l’esprit et qu’on tentera de repousser par tout un tas d’actes qui sont des empêchements pour être vraiment là. Soi-même déjà là et l’autre dans cette possibilité. La possibilité, voyant l’autre là, d’y être également pour lui-même. Cela est la même chose pour ceux qui travaillent dans un bureau, ceux qui œuvrent sur un chantier et ceux qui organisent des manifestations artistiques. Il y a tout un tas de constructions relationnelles, tout un ensemble fort élaboré pour éviter la vraie vie. L’ouvrier va parler à l’autre de choses et d’autres, le secrétaire ou l’employée de banque, le patron et son adjoint parleront dans les moments perdus du bon ou du mauvais temps, le technicien artiste parlera de sa technique artiste en prenant un verre avec une personne du staff technique ou de son public artiste et alors ? qu’en ressort-il de l’humanité ? rien. Il ne ressort rien de l’humain, ou alors des traces individuelles, parce que les hommes sont dans l’incommunicabilité absolue, et donc la chose à faire est de faire parler cette incommunicabilité, et de la faire jaillir de toute part, de désigner l’incommunicabilité à tout instant. Seul l’artiste, dans ses moments lucides, et s’il n’est pas qu’un technologue doublé de velléités de reconnaissance, peut se permettre de le faire et d’ainsi montrer la nudité de tout. Et donc la révolte, car on est prisonnier de la vie du corps. Si le corps s’éteint, et il s’éteint progressivement dans la vie, le corps est un éteignoire pour la vie, si le corps s’éteint donc, nous les artistes et les autres futurs noyés, nous nous retrouvons dedans comme écrasés, écrabouillés dedans entre les différents tuyaux et le sang durci. La vie pour nous est un souffle inéluctable et de toute façon la vraie lutte est déjà avec soi-même, déjà lutter pour soi et contre soi. Car ce qui nous guide, c’est effectivement de repousser l’épuisement. Notre épuisement, car la nuit arrive pour tout le monde et on la sent très vite monter en soi-même. En soi-même la nuit monte. En soi-même la vie s’éteint progressivement et donc vivre est une lutte, vivre c’est être dans la révolte. Si la révolte n’est plus comprise par l’artiste, alors c’est la mort qui l’habite déjà. La mort habite beaucoup d’artistes qu’on dit « vivants ».