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Entretien avec A.M.

Entretien avec A.M. étudiante en licence 3 lettres modernes

Questions à Charles Pennequin

1 . Les termes de « performance poétique » posent problème à certaines figures dudit mouvement car il enfermerait avec lui des notions théâtrales et l’idée de spectacle principalement.

Rejetez-vous en totalité ou en partie cette expression qui qualifie votre activité ? La trouvez-vous réductrice ?

Je ne rejette pas le mot performance poétique, puisqu’il désigne un peu mieux que le terme seul de performance ce que je peux faire devant un public. Je lui préfère cependant le terme de poésie-action ou celui plus personnel encore de « gesticulation ». Il y a beaucoup à faire cependant aujourd’hui pour mener une critique de ce qui se fait au nom de la « erf ». Tout est perf aujourd’hui, même si des interprètes ou des chorégraphes peaufinent et répètent un spectacle qui sera je pense éloigné de ce que pouvait définir le mot performance. Une performance, pour moi, n’a déjà pas besoin de public, elle est faite pour soi-même, comme écrire un texte chez soi. Je fais souvent ainsi des choses dans la ville, les transports en commun, dans ma voiture, les lieux publics, des choses en me filmant ou en m’enregistrant. Je vais lire le long des quatre voies d’un rocade par exemple, et le public c’est la voiture ou le camion a qui je lis des pages de Comprendre la vie. Une performance, si elle se déroule avec un public, elle se fait avec l’espace et les gens, c’est pour cela que le terme poésie-action est intéressant, car il concerne l’action qui se fait dans un lieu avec les autres, l’aide des autres. Celui qui mène l’action n’est pas le seul à faire vivre ce moment. De plus ça ne se répète pas, ni avant, ni après. Je connais maintenant un certain nombre de performers étrangers qui sont dans l’art-action et ils peuvent faire des performances dans toute sorte d’endroit et pour eux il s’agit d’un acte artistique qui est éphémère (et souvent à une certaine force politique). En France, la performance, de l’aveu même des spécialistes, c’est du passé, relié à soixante-dix, aux mouvements sociaux et politiques, ça prouve qu’ici il n’y a guère de renouveau dans ce domaine ! ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs.

2. L’appel à la sonorité incluant bruits, onomatopées, mots criés et répétés, sémantiquement bousculés, mêlée à une gestuelle cérémoniale ou agitée, à une présence corporelle omniprésente met le spectateur devant le spectacle d’une sorte de folie absurde qui laisse perplexe ou prête à rire.

Sachant que souvent les mouvements contestataires d’une littérature traditionnelle se sont développés sur l’enthousiasme et le rire par le non-sens ou le grossier (comme le burlesque par exemple), rire de la performance poétique est-il un effet recherché ou le résultat d’une incompréhension ou d’une gêne du public quant aux véritables enjeux ?

Parfois je pense que le rire est peut-être une manière de se protéger, car ce que ça dit au fond n’est pas toujours drôle, car un peu abrupte et disant des choses que beaucoup peuvent ressentir, sans forcément le dire. L’écriture c’est un moment qui fait jaillir des choses de soi-même, parfois même il m’arrive d’oublier d’avoir écrit tel ou tel texte et de le retrouver ensuite, il y a même parfois un petite honte qui accompagne ça, ce n’est pas une recherche et je ne me fixe aucun enjeux, la lecture public existe car elle permet une autre écriture, spatiale cette fois, de ce qui est écrit et même souvent il s’agit d’improvisations faites au dictaphone ou des videos de moments improvisés que je passe, car il y a une justesse dans ce qui est dit, dans le rythme, qui ne peut être reproduite. Je ne cherche pas à choquer, je suis seulement dans la difficulté à trouver le bon cadre, le bon cheminement entre les textes et les déplacements, à montrer des variations dans la voix, comme des moments musicaux mais qui n’ont que les mots et le sens qui forcément va avec, pour illustrer cette recherche.

3. Comment expliquez-vous qu’une partie du public, que ce soit une certaine élite littéraire ou un public populaire et moins averti, soit hermétique à cette forme d’expression, rejetant parfois même le terme de « poésie » pour la qualifier ?

J’ai rarement rencontré des gens hermétiques aux lectures, peut-être aux livres, en tout cas ceux qui sont dans le rayon poésie bizarre, mais sinon j’ai fait des lectures avec des amis dans les bars, en débarquant à l’improviste (avec l’armée noire par exemple), on présentait nos affiches, nos textes, et beaucoup de gens lisaient et étaient étonnés, cependant si on a pu faire ça avec l’armée noire à un moment donné, c’est qu’on en avait marre de lire devant un public de gens concernés qui ne nous écoutait pas ou à peine et surtout ne nous lisait pas. Le monde de l’art, de la littérature et tous les cercles prétendument savants sur ces questions, sont dans l’ensemble finalement des mondes totalement hermétiques à l’art, contre l’art même. C’est plus des luttes de pouvoir qui les animent ou des besoins sociaux, pratiques (trouver un atelier par exemple) que remuer les questions fondamentales non de l’art, mais de la vie tout court. Ce qui est dommage, c’est que dans les mouvements dits alternatifs, c’est toujours la marge qui intéresse, ou plutôt les lieux déclassés (qui se trouvent dans des quartiers pauvres). Les lieux de création qui sont dans ces endroits dits populaires, se foutent pas mal des gens qui les entourent. Ils ferment à double tour et ont peur que des arabes viennent leur voler le matériel Et je ne dis pas qu’il ne faut intéresser que des chômeurs et des analphabètes, des cadres aussi, toute sorte de gens, ceux qui regardent la télé, qui font des jeux dans les PMU, etc. je sais que la poésie que je fais peut intéresser beaucoup de monde. Je crois même qu’il faut réintroduire la poésie dans notre civilisation, mais en dehors des festivals, des printemps des poètes, des biennales faites par les communistes et qui ne se sont jamais adressées à un seul prolétaire, mais ont été uniquement créée pour publier des livres et recevoir des subventions. Il faut tout de même y croire un peu, c’est pour ça que l’association avec les autres arts, s’ils sont assez percutants, dérangeants c’est primordial. Il faut recréer aussi des forces collectives, l’idée d’une poussée combattante et vive d’une sorte de communauté, l’idée d’un collectif, même si je n’aime pas ce mot, est une idée morte en France ou dans la plupart des pays d’Europe. Les artistes tournent, ne se posent plus de question, ils font carrière. Il y a bien un endroit où ça va finir par craquer ? même si j’espère on ne retournera pas à l’esprit d’avant-garde. avant-garde = chasse gardée, groupe exclusif et excluant. La poésie est plutôt à faire par tous comme le voulait Lautréamont.

4. Pourquoi y a-t-il un tel retour à la tradition orale dans vos travaux ?

Engendre t-elle selon vous la réduction du rôle du livre ?

Pour moi le livre est central. c’est le point d’arrivée de quelque chose. Mais après je trouve qu’on en fait quelque chose de vraiment trop sacré. Le livre-perf ça existe très peu dans l’idée des gens, un livre c’est un passage, un moment d’arrêt, une photographie de ce qui s’est tramé durant un ou deux ans, mais ça n’est pas un objet pour l’éternité, ou alors il s’agit de moments d’éternité peut-être, mais que fixe le livre comme la lecture aussi ou l’intervention poétique peut fixer elle aussi. J’ai toujours été attiré par cette chose définie par Christian Prigent, comme étant « la voix de l’écrit ». Cependant ce n’est pas uniquement la voix de l’écrit (parfois ça l’est, quand je reprends certains textes au départ destinés au livre), c’est la voix dans bouche, le poème en bouche plutôt que dans la tête, c’est ce qui sort et qui trouve son rythme dans l’air. c’est l’obsession de cette sortie du physique, la respiration que ça donne dans tout le corps et dans la pensée, car ça aère, ça fais vivre, vivre c’est-à-dire être en pleine possession de quelque chose qui pousse à l’intérieur et c’est rare. C’est des moments particuliers où tout se rassemble pour dire quelque chose de plus vrai et qui pousse autant dans la voix du dictaphone que dans un texte écrit à toute blinde dans word.

5. J’ignore si vous avez vu le film Les Idiots de Lars Von Trier, en résumé il s’agit de personnages qui cherchent dans la régression de leur idiot enfoui en eux une façon d’être au monde plus véritable. Personnellement il m’est arrivé de penser à la philosophie de ce film en regardant vos performances. Dans votre façon de vous exprimer il y a , semble-t-il, une régression vers un langage enfantin, plus instinctif, mais qui comporterait néanmoins les problématiques existentielles d’un adulte.

Quels enjeux cette expression si éloignée de notre langage habituel doit-elle révéler ?

Oui les idiots, et aussi Festen, car dans Festen, il est dit un truc énorme devant la famille. ça c’est pour la poésie qui dit des choses qu’il ne faut jamais dire à sa famille, à ses proches. Mais l’idiotie, le poème neuneu, la poésie au ras des paquerettes, se mettre plus bas que terre, se mettre honteux, ça c’est quelque chose qui m’a toujours travaillé. Ce n’est pas une régression, c’est dire qu’il y a des désirs cachés qui passent dans les mots, que chacun a sa manière bien a lui de remuer les choses dedans sa bouche, que chaque parole a un secret dedans et que ce ne sont pas que les médias qui savent tout de la parole, de la science à parler, pour moi l’armée noire c’est avant tout une invasion de parole, un grouillement des mots dont on ne veut pas entendre parler, on ne veut pas entendre parler l’enfant en soi, la femme en soi, le faible en soi, le philosophe en soi, tous les en-soi mêlés et qui veulent prendre la parole, toute les bagarres positives avec l’être et le dehors. ça mène à la joie tout ça, la jouissance arrive du fait qu’on fait exploser ce qu’on pense dans des poèmes. l’écrit c’est comme un coup de sang, de la rage en paquet. ça dit des choses et ça déborde et ça rit de l’avoir dit, car ça joue forcément avec les mots, ça joue avec les phrases, c’est tout de suite comme un instrument avec lequel on joue. L’autre fois je me suis promené dans la rue en disant Je jouis, Oui ! Oui, je jouis ! je faisait des gros ronds avec la bouche pour montrer que la bouche disait le Oui du jouit. Effectivement nous jouissons de penser, d’être dans les problèmes, de parler des problèmes, d’être tout le temps travaillé, secoués, perturbés, nous jouissons d’être emmerdés la vie durant, sinon ceux qui ne jouissent plus se suicident, ils n’en peuvent plus de jouir ainsi, en tout cas il faudrait être un tout petit peu en décalage du jouisseur que l’on est pour se rendre compte que finalement ça jouit tout de même beaucoup plus qu’on ne croit malgré le réel. La poésie dit ça, elle dit le moment où ça peut partir en vrille dans le vivant, seulement le vivant n’y croit pas, il préfère les discours des chefs, des autorités, de l’église, du patronat, il préfère en chier de la publicité et de la morale que de voir qu’il chante à tue-tête dans sa tête à longueur d’année. On ne veut pas croire au fait qu’on est des bêtes à parler et à tournoyer dans la caverne avec des torches allumées dans le noir et qu’on voit rien et qu’on danse, on ne veut rien voir de tout ça bien souvent. Sauf par moment où ça rit de bon cœur avec la pensée qui sort dans la bouche et que la bouche se mette à penser le chant et à livrer ça à l’air libre. Personne ne croit en la poésie, même moi à 95 % de mon temps je n’y crois pas, je suis éteint comme un téléviseur.

6. Alors que la poésie subit le désintérêt de la majorité face au roman commercial, vos performances manifestent le besoin de crier, de tordre les mots, de les répéter obsessionnellement, de les perdre dans le bruit, les cris du poètes manifestent-ils la lutte, la peur du poète qui se sait condamné ?

Oui et pourtant tout le monde me dit : tu devrais faire du théâtre, tu devrais écrire du roman, pourquoi tu fais pas du slam ? tu devrais rentrer dans les cases ! tu devrais te taire et mourir au final, on me dit. C’est ce que font les artistes en général, ils meurent. Après avoir lutter ils laissent tomber, la vie leur tombe des bras car tout est fait pour qu’on arrête. Les œuvres ne sont que des traces de luttes. A mon avis, et c’est pour ça que j’ai écrit Pamphlet contre la mort, les artistes sont des gens qui ont manqué de bras face à l’existence.

7. La poésie est-elle selon vous compatible avec la société d’aujourd’hui ? Est-elle obligée de vivre en marge de celle-ci pour toujours être de la poésie ?

La société d’hier ou d’aujourd’hui,… cependant aujourd’hui c’est le lieu précaire où je vis alors je dirai que c’est dur pour moi tout simplement et donc pour ce que je veux faire passer dans la société. La poésie est incompatible avec les petites peurs et les petits sentiments d’aujourd’hui, elle ne rentre pas dans les boîtes culturelles, dans les cercueil de la morale du jour, sinon elle devient obéissante et flatteuse. Il y n’y a pas à vivre à la marge, je ne me sens pas à la marge, je fais ce que je veux et je tiens toujours à affirmer que l’écriture c’est ma seule liberté. Si on me fait une commande qui ne me plait pas, parce qu’elle entrave ma liberté, je ne le fais pas, aujourd’hui beaucoup de monde dans l’édition souffre d’avoir à faire des choses qui ne leur plaise pas totalement. Pourquoi le font-ils ? Pourquoi taisent-ils certaines choses ? Il n’y a pas de carrière à mener dans l’art, mais on dirait que c’est ça qui mène le monde aujourd’hui. Pour ma part, je trouve que j’ai plutôt de la chance, je ne suis pas brimé, ma poésie peut tout de même être entendue, à la radio, sur des sites, même à la télé elle est passée ! j’ai déjà fait des performances poétiques ou des lectures pour Canal +, Arte, c’est pour dire ! Et je n’ai rien contre le fait d’aller dans toute sorte d’endroit, au contraire ! j’y vais, ça peut être un invitation pour un festival, une lecture dans un lieu prestigieux ou non, une intervention dans un endroit communautaire ou autre, l’important c’est que peut-être, dans cet endroit, il y a peut-être une personne qui entendra pour la première fois mes textes et ça changera peut-être quelque chose pour lui. Tout comme faire des livres, je connais des lecteurs pour qui ça a compté. On n’est pas encore interdits ou annulés par la force consumériste de la culture de masse. Mais la poésie que je pratique est forcément en marge car c’est déjà tout le système éducatif, tout la socle sociétal qui faudrait faire sauter pour que chacun est la possibilité et la capacité surtout de lire un livre sans trouver que c’est dur, que c’est illisible tout simplement parce qu’il n’y a pas d’alinéa, parce qu’il n’y a que des points ou pas de points, ou parce que c’est bizarre. Faire comprendre qu’ouvrir un bouquin c’est déjà vouloir tenter une expérience et non pas se vider la tête, se délasser comme devant un bon feuilleton. Moi j’aime bien les feuilletons, j’aime bien me décerveller, mais là il s’agit d’une expérience, c’est sur le qui-vive, d’être le cul entre deux chaises avec sa vie, son être, se dire je fait un parcours dans un chemin que je connais pas, une ville même, dont j’ignore le plan. C’est surtout pour ça que ce n’est pas facile. Et puis après les codes de lecture, les façons de lire. Dans le slam ils reproduisent beaucoup des tics du pire théâtre, de la pire littérature. Tout de suite, ce qui rentre dans la tête à tout le monde, c’est le pire, c’est pas le singulier, la monstruosité du soi avec sa voix, ses voix, ses façons obsessionnelles de dire. C’est plutôt la convention qui marche, l’aplanissement, l’uniformisation des façons de dire et de penser, de vivre, c’est ça qui marche à fond chez nous ! Donc tout ce qui se dira se dira de travers, de biais, à moins qu’un jour on pense renverser le système et alors on aura sans doute à faire à un dictateur, ce qui ne sera pas mieux. Car on n’est pas dans le pire des mondes, on est dans un pire encore acceptable, un pire avec des possibilités de trafiquer, bouiner, bidouiller son existence sur le côté du grand mensonge permanent.

8. La poésie s’adresse à tous, mais qui l’entend véritablement ?

Comme je l’ai dit, j’ai fait des choses dans des endroits et quand je revenais plusieurs mois après c’était le technicien de l’endroit qui m’en parlait encore, tellement ça l’avait marqué (il ne lit peut-être jamais de poésie). Ou alors, une fois je suis intervenu dans une école et les élèves avaient mis comme annonce du répondeur, sur leur portable, le texte sonore J’te ramène. Je ne peux pas vraiment répondre à cette question car parfois quelqu’un me parle d’un de mes livres et je suis toujours surpris, car je n’ai pas vécu ce moment avec lui, je ne sais rien de ce que le lecteur a vraiment ressenti à ce moment-là, je me demande même s’il ne se trompe pas de personne, en fait il devrait en parler au livre, ou alors à cet auteur que je ne suis pas toujours, je ne suis pas toujours l’auteur de mes livres, je veux dire par là que je les oublie aussi, j’en redécouvre d’autres, d’autres écrits, qui peut alors prétendre entendre de la poésie du coup ? Qu’on l’entende ou pas, bien souvent mon tracas c’est qu’on n’y croit pas, on ne croit pas en cette manière en tout cas de tordre le langage et de lui faire dire ce qu’il est réellement, une manière de sonner dans le sens, une façon de plier la bouche pour faire siffler plus justement ce qui est dit. Car c’est du dire, c’est du vrai dire, ça dit vraiment en dehors des clous du discours. Le discours est pour moi parfois impossible, c’est pour cela je crois que je me méfie des gens qui théorisent, qui font un arrêt dans la poésie pour poser une réflexion, la réflexion est mêlée au chant, la réflexion c’est du chant et de la pensée mêlée, vive les philosophes qui écrivent des concepts qui ne servent à rien ! C’est ça qu’on devrait entendre pour éviter encore une fois de revivre les 20 siècles qui viennent de passer, grâce à l’église, au pouvoir politique et aussi à une certaine philosophie. Il faut lire ce que dit Louis Ucciani à sujet, quand il parle de Fourier, il en parle très bien de ce philosophe inutilisable. La poésie est inutilisable aussi, ou alors utile pour démonter avec les autres arts et la pensée, les outils de la communication, de la morale, du soi disant bien être, de tous les codes de la société qui nous font vivre dans le mensonge. La poésie pour qui l’entend, ça peut être une joie, une façon de vivre, une manière de revoir sa vie, du coup celui qui l’entend vraiment ça peut faire une faille dans sa vie, à un moment donné il va falloir choisir. C’est comme subir un an de psychanalyse peut-être. Quand j’ai décidé de faire la saut dans la poésie, c’est-à-dire de ne plus la vivre de manière cachée, honteuse, j’étais au départ mal dans ma peau toute la journée, je sentais ce trou là qui allait se creuser entre moi et ma vie d’alors.

9. Pour finir, quels sont les poètes traditionnels, j’entends par là plus « classiques » dans la façon de dire, vous ont marqués ?

Les poètes plus classiques sont Rimbaud, Lautréamont, Verlaine, Artaud, Appolinaire, Péguy, Michaux. Après j’ai été marqué aussi par les prosateurs, qui pour moi font tout autant de la poésie, comme Céline ou Beckett, Thomas Bernhard aussi, très important !

J’en oublie sans doute. Après j’ai été marqué par des poètes tels que Gil Wolman, car c’est un poète pour moi très important, ou par Nijinski, Pierre Albert-Birot, puis Heidsieck, Prigent. Après j’ai été marqué par ma génération, en premiers de laquelle je mettrai Christophe Tarkos, Nathalie Quintane, Stéphane Bérard, Katalin Molnar, Vincent Tholomé. Puis les autres générations après aussi. Edith Azam, Jérôme Bertin, Antoine Boute, etc.

10 . Il est certain que je suis passée à côté de questions essentielles, peut-être voulez-vous ajouter quelque chose d’important sur le sujet que j’aurais omis de demander ?

l’armée noire. j’en ai parlé, un peu. C’est une idée avec des amis. ça vient de ce que me disait ma mère et qui se disait dans le nord, dans le cambrésis en tout cas.

Elle me disait : fréquente pas ces gens-là, c’est d’l’armée noire.

C’est-à-dire des gens qui se lavent pas, ils sont noirs de sale, ils sont nombreux, ils grouillent comme une armée. Voilà, l’idée qu’en fait l’art peut être vécu par ce qui le font mais pas seulement, tout le monde fait de l’art, tout le monde durant une soirée fera de la sérigraphie, dira des choses, chantera, écrira sur les murs, sur les feuilles, etc. c’est finalement pas très courant ce que propose l’armée noire, pas très courant dans les modes de transmission de l’art, la poésie, qui se fait bien souvent de manière très classique.

PARLOTTE (extrait) - Charlotte Bohet

PARLOTTE

« Je le connais ; c’est un monstre à ôter du monde, et tout à l’heure il ne pourra parler. – Empêchez qu’il écrive… ! – Oh ! ne craignez rien, l’enflure lui gagne les yeux ; il n’y voit plus, et la langue commence à lui sortir de la bouche. Il souffre (lui tâtant le pouls) comme un damné… et il n’a pas une demi-heure à vivre. »

 

Nicolas Restif de la Bretonne, Anti-Justine

 

Parlotte vient le jeudi. Chaque jeudi elle vient nous voir. elle est assise. elle remue un peu. quand elle ne dort pas. on la transporte sur une chaise roulante.

 

depuis qu’elle est toute petite parlotte a un problème. On sait que parlotte a un problème. depuis qu’elle est toute petite on sait bien qu’elle a un problème. même avant sa naissance. on savait.

 

Mais parlotte ne s’est jamais prononcée. elle n'a jamais voulu nous dire un mot. prononcer un mot. ou même quoi que ce soit. quoi que ce soit d’autre qu’un mot. quoi d’autre qu’un mot. parlotte.

 

néanmoins. on savait bien. on savait bien qu’elle avait un problème parlotte. même si on savait pas quoi précisément. On savait qu'elle avait un problème. un grave problème.

 

il faut du temps ils nous ont dit. Un peu de temps. avant qu'on se prononce. Qu'on se prononce sur le problème de parlotte. qu'on s'aperçoive de l'étendue du problème de parlotte. Il a fallu attendre il nous ont dit. attendre.

 

Attendre la première crise. Si elle fait sa première crise parlotte c’est foutu. alors on attend. dans l’angoisse de la première crise de parlotte. dans l’angoisse. La première crise de parlotte.

 

un jour. ça n’a pas manqué. parlotte a fait sa première crise. une petite crise. on s’est dit. C’est qu’une petite crise parlotte.

 

petite. parlotte titubait. Elle passait son temps à tituber. sur le carrelage froid de l’appartement. ses premiers et ses derniers pas peuvent se résumer en une sorte d’hésitation. une entrave. une maladresse titubante. ponctuée de crises. et de points de chutes. De chutes. engendrées par des crises.

 

sans dire un mot parfois. un simple cri qui s’élève. Lorsque ses yeux tanguent sur le carrelage. avant la crise. le bruit sourd des os. du crâne qui cognent contre le carrelage. parlotte titube sans un mot mais ses lèvres tournent au bleu.

 

c’est un signe. un signe évident. un signe évident qui laisse entendre que parlotte va tomber. Qu’elle va faire une crise. puis qu’elle va tomber. alors son regard se vide. elle pousse un cri et badaboum. elle tombe.

 

Festival Expérience(s)

Au Périscope, à Lyon

PAPA, PAUPIETTE (& POST-SCRIPTUM.)

PAPA Habite en mon trou de balle. Je sais pas pourquoi il vient là. Des fois il n'y vient pas. Il préfère habiter d'autres sphères. Mais parfois il peut plus habiter ailleurs. Ailleurs qu'un trou du cul. Et c'est moi qu'il choisit. Il veut plus m'habiter. Qu'en trou du cul. Mais c'est lui qui s'habite dans mon trou de balle. Papa est mon trou de balle habité par lui-même. Ou c'est moi qui m'habite en trou du cul. Dans son trou de balle à lui. J'habite son cul comme une vieille merde. Toujours prêt à déguerpir. Ou alors c'est lui. C'est lui qui déguerpit la merde de mon trou de balle. Pour que je me voie chié par lui. Mais moi je chie moi-même de moi. Il peut remballer sa merde. Dans son trou de balle à lui. Il peut se la refoutre au cul qui pense. Je suce mon propre trou. Comme je lui aurais léché la face. Car c'est toujours son cul que j'ai en face. Malgré moi-même. C'est toujours la face de cul du père en fond que j'ai dans mon trou de balle à moi.

promenade,

paupiette,

patate,

papa,

père,

papy,

pépé,

piscine

paupiette.

nous mangeons la paupiette, nous préparons la paupiette, nous ne savons pas manger la paupiette, nous ne goûtons pas la paupiette crue, la paupiette crue n’est pas la vraie, la paupiette cuite est la fausse en vrai, en vérité la paupiette crue n’est pas si fausse, la paupiette crue est la viande morte, les gens à problème ne supporte aucune idée, la pensée quitte les gens à problème, une fois la paupiette cuite il n’y a plus de pensée, on n’a que la pensée de mort, on ne supporte pas la pensée morte en bouche, on cuit la paupiette pour supporter l’idée de mort, on coupe dedans l’oignon et on y met le vin blanc, on y met le vin blanc pour quitter l’idée, l’idée de la paupiette crue est difficile, j’ai des difficultés avec ma tête avec mes doigts avec la paupiette crue, ça ne fait pas de doute quand on a dur avec la paupiette crue on a très dur avec sa bouche, ça aide de le savoir, ça n’aide pas de le savoir

la paupiette crue sent la mort, j’ai ma mort dans la paupiette crue, j’ai les oignons et le vin blanc dans la cuite, dans la crue je suis cuit, je me vois à mort en mort, je ne veux pas me voir en mort, je cuis la paupiette crue pour pas me voir en mort, je coupe dans la casserole l’oignon et le sel et le poivre et le vin blanc, ma tête a l’odeur du sel et du poivre, ma tête respire, elle vit.

Post-scriptum : je te signale que j’écris sur ma bite bien avant que tu naisses. bien avant ta naissance je te signale que déjà ma bite entrait en fonction. ma bite était fonctionnaire et j’entrais en fonction dans ton petit trou pas né. je te signale au passage que déjà tu commences à te battre avec les mouches et moi j’arrive et je t’arrange la bite de petit trou pas né.

 

la ville est un trou, la toute première version

 la ville est un trou

 
la ville est un trou
ses habitants respirent
la ville est un trou
et ça respire dedans
ses voisins ils sont dedans
sont dans un trou
ses voisins ses habitantes
et habitants
tous y respirent
tous les gens dedans
dans le trou
la ville est un trou
et les gens qui lisent
ils lisent tous
tout le monde voudrait lire
tout le monde le veut
tout le monde à un moment donné désire
parler
la ville est un trou
tous à l’intérieur
tous les voisins
avec le journal
le journal est un trou
car le trou c’est tous les jours 
qu’il est là
il est dans la ville
la ville est un trou
la ville respire
ses voisins ont des paroles
ils voudraient bien parler
les voisins parlent 
ont envie d’avoir des conversation
ont envie de créer des liens
toute ville est un trou à liens
toute ville est un trou
le lien forme le monde
le monde est liant
est une sauce
le trou fonctionne
les journaux sont imprimés la veille
les journaux sont pour le lendemain
ou pour le jour même
le jour même est un trou
la veille au lendemain
tout est un trou
mais la ville est un trou
et ses voisins dorment dedans
ses voisins font des rêves
ils rêvent qu’ils chutent
ils rêvent qu’ils tombent mais ils se font pas trop mal
ça rebondit
la ville est un trou
les gens rebondissent
ils se réveillent
ils sont dans un trou
mais tout va bien
le journal est imprimé la veille pour le lendemain
entre les deux c’est le quotidien
entre les deux les voisins ont le choix
ils peuvent dormir ou tomber
et quand ils dorment ils tombent aussi
la ville est un trou où tomber
la ville est avec ses habitants
et ça respire
c’est tout dedans
c’est respirant
c’est un trou
c’est un trou qu’il y a dans tous les habitants
ils veulent tous parler
ils veulent tous avoir du langage
ils viennent acheter le journal
le journal est un trou pour les habitants des villes
la ville est un trou
le trou fonctionne
les voisins continuent de dormir
les voisins ont acheté une voiture
ou c’est une mobylette
ou c’est un camping car
ils vont sur leur petit terrain
leur petit trou hors de la ville
mais la ville est un trou
ils y vont avec le camping car
ils ont acheté aussi une moto
ils détruisent les arbres
ils n’aiment pas les arbres avec des fruits dedans
les arbres avec des fleurs
ils n’aiment pas ça
ils aiment le gazon
ils ont un beau gazon propre et font des sourires en mettant les mains sur les hanches
la ville est un trou
ils sont vieux les voisins
les voisins ont mis du pvc
les voisins ont mis des dalles
les voisins ont mis le double vitrage
le chien lèche la vitre
un jour il va la casser
mais c’est du double vitrage
la ville est un trou
un jour le voisin se casse la margoulette
en ville on sait bien ce que ça veut dire
on lit ça dans les journaux
on lit qu’un voisin s’est cassé la margoulette
ça veut dire qu’il était en moto et a fait du déluge dans la ville
ou alors ça veut dire qu’il a fait du bazar
il s’est pointé au centre de la ville
la ville est un trou
et il a glissé et a failli glissé
ou alors on lit ça dans les journaux
ou alors on lit ça ailleurs
pas dans les journaux
les journaux sont un trou
et les habitants avec
et leur pensée avec
ils n’ont qu’une seule pensée
et ils se torchent dedans
un jour le voisin a glissé avec sa moto
ou alors c’est sa fille
il met sa fille sur la moto
c’est un tout petit bébé
et pour rigoler il la met sur la moto
et il démarre
pour rigoler
et la moto l’écrabouille
c’est comme ça en ville
car la ville est un trou
et ses habitants sont dedans
et c’est comme ça
et les voisins respirent 
ils s’imaginent que tous les matins il faut se regarder
moi monsieur je me regarde
moi monsieur dans la ville dans mon cabinet
moi monsieur mon cabinet ma ville ma toilette monsieur
moi dans les toilettes monsieur dans les cabinets
moi faire ma toilette et après moi monsieur après m’être toiletté
moi monsieur faire le visage dans le miroir et regarder par le trou
du miroir moi monsieur
et les habitants sont tous comme ça
ils sont tous voisins et tout le monde s’ignore
ils ignorent leur voisin 
car ils sont dans un trou
et dans un trou on ignore tous les voisins du monde
moi monsieur dans mon trou je m’a regardé et je m’a vu
et moi monsieur je n’aime pas les tulipes qui poussent et je va au boulot
et moi monsieur quand je va au boulot je n’aime pas les tulipes qui poussent
moi monsieur je pars en mobylette
et moi monsieur je pars en scooter
et moi monsieur je vais en voiture
et moi je pétarade
et moi je démarre au feu rouge
la ville est un trou
il faut faire attention il y a une publicité
une très vieille publicité
ils n’y a que les voisins de plus de quarante ans qui la connaissent
c’est publicité où il est dit que faut pas s’endormir au volant
que même si que tous les jours on est dans la même ville
et que on prend le même trajet
pour aller du trou au trou
et que même si le trou change pas en cours de route
il faut pas s’endormir
car on aura un accident
moi monsieur j’ai eu des accidents
je me suis cassé la margoulette
et je mets des baffes à ma fille quand elle le mérite
et je prépare mon barbecue pour les invités
se sont de jolies demoiselles
et je vais les baiser dans le jardin moi monsieur
car elles viennent toutes les deux des beaux-arts
et ce sont des lesbiennes
et elles baisent 
et elles me regardent avec mes saucisses
et ça leur fait du bien
car aux beaux-arts on en mange rarement
en tout cas ce n’est pas un milieu naturel
on n’est pas comme ici moi monsieur
ici le voisin a quatre moutards
et ils se tiennent tranquille 
sauf qu’il fait chaud tout la haut
tout la haut dans le ciel
il fait très chaud
plus on se rapproche du soleil et plus il fait chaud
et plus ça va et moins ça nous vient
plus ça va et plus le voisin se souvient de rien
il se souvient qu’il était juste à terre
quand il a marié sa fille 
ou alors c’était sa communion
il était tellement bourré moi monsieur qu’il a dormi sur le gazon
et ils ont coupé l’arbre
pourtant sa fille aimait l’arbre
et aurait aimé qu’il reste là
mais les voisins ont voulu le coupé quand même
tous les voisins sont des cochons
ils lisent tous la même chose
il n’y a qu’avec la voisine que je lis pessoa moi monsieur
sinon avec les autres voisins je joue au loto
je vais acheter mes clopes
je vais boire mon ricard
et je vais acheter des steak
et louer des films
car mon voisin regarde sa télé
car dans la télé ils disent qu’il habite dans un trou
mais la télé est dans la trou aussi
pourtant dans la télé c’est dans la vie
le voisin dit ça
il dit la télé c’est la vie même
c’est-à-dire que le monde tourne rond dans la télé
il a des bords tout au moins
et on peut le transporter
tout au moins on dit ça dans la télé
on dit si vous avez rien d’autre à foutre que vivre
regardez la télé
le voisin la regarde avec son chien
c’est un gros chien
ou alors c’est un petit
un tout petit chien
et il le suit
depuis qu’il est tout petit le chien le suit partout
depuis tout petit qu’il est 
et qu’il est voisin
et qu’il est dans un trou
il est suivi d’un chien
allez savoir pourquoi 
un jour il s’est cassé la margoulette
et la bonne sœur est passée
pour lui faire la piqure
elle avait une deux chevaux
comme dans les films avec louis de funès
elle habite shonstatt
c’est là où un allemand a été retrouvé mort pendant la guerre
il avait un journal avec lui
où c’était marqué tout petit
que la ville est un trou
et ses habitants dedans
ses habitants qui respirent
ses habitants qui ont des sentiments
ses habitants qui s’imaginent quoi
ses habitants qui s’imaginent qu’ils pourront faire quoi
ses habitants qui ont des idées comment élever leur gamin
qu’ils les foutent en taule 
et on sera débarrassé
et on sera tranquille au plus vite
moi monsieur j’ai des sentiments
et j’ai des enfants dedans
et mes enfants je leur donne la priorité
c’est-à-dire je veux pas qu’ils crèvent moi monsieur
moi monsieur mes enfants sont déjà crevés
car je les ai fait nés
et c’est pour ça moi monsieur que je veux les voir
mais pas qu’ils crèvent
en fait le voisin ne sait pas ce qu’il veut 
il veut des naissants mais il veut rien dedans
je veux dire moi monsieur quand on veut du naissant
on veut que ça crève dedans
sinon on laisse faire
on laisse dame nature
et dame nature c’est elle qui décide
si tes enfants doivent crever avant toi ou pas
s’ils crèvent après le voisin tant mieux
s’ils crèvent avant lui tant pis
d’ailleurs je pense que je crèverai après lui
car lui est  plus vieux
c’est mon copain qui m’a dit ça
il m’a dit laisse-le crever
ou plutôt il a dit : laisse-le
il crèvera bien
et ça crèvera d’avant nous
et nous on sera tranquille à ce moment-là
ça fait quarante ans de ça
quarante ans et le voisin n’est pas crevé
et on n’est pas tranquille
on a toujours peur de se casser la margoulette
de se rompre le cou
de se casser la vertèbre
de se fendre d’un truc
de se briser quelque chose
moi monsieur je me suis brisé tout seul
je suis un brisé de naissance
et moi monsieur je n’ai rien à vous dire
je n’ai pas de parole
et moi monsieur je n’ai pas la possibilité d’échanger le moindre avis
car je n’en ai pas
voilà ! 
la ville est un trou
et les habitants respirent
et les habitants ont soif
et les habitants ont des mains
et les habitants pensent
tout le monde pense
tout le monde s’agite
tout le monde s’éparpille
et pourquoi je m’éparpille
et pourquoi je ne dis pas « popo » toute la journée
si je disais « popo » toute la journé à mon voisin est-ce que ça le fatiguerai
si je le croise dans la rue je lui dit « popo »
si je croise ses rejetons « popo »
si je croise sa femme
j’aime les femmes
le voisin aussi
il aime bien regarder la voisine
il aimerait la sauter
il sauterait toutes les femmes
je te sauterai qu’il dit
je sauterai toutes les femmes
je te sauterais toi surtout
il dit ça à sa voisine
je veux te sauter toi aussi
je te sauterais toute
tu seras la toute sautée
tu seras la sautée totale
celle qu’on saute avant 
de sauter
qu’on a toujours en saut
dans la tête
qu’on pense en tête 
c’est-à-dire qu’on saute
avant d’être
qu’on voit en soi 
c’est-à-dire en saut
en son propre sauté d’être
qu’on se voit avant 
quand on y était
quand on était dans le saut
celui de l’être
celui qui fait qu’on tente toujours de sortir
se sortir
en sautant l’autre de soi
la ville est un trou
et ses pensées avec
ses petites pensées de mirliton
ses petites pensées qui vont dedans et avec un couvercle
il faut toujours être démoli
toujours sembler être le démoli terrien
le démoli de toute terre
tous les jours ils semble qu’on a son équivalent de terreau dans la main
ou dans l’os
c’est dans l’os de la main qu’on a son équivalent
en mort
en mort terrien de terreau
et de tais-toi donc
tu es toi veut dire : tais-toi
et non : tout est toi
c’est plutôt tu te tais
c’est plutôt : tu es tué
Toujours démoli à l’idée de plus produire son tour
son équivalent en sac de terreau
la ville est un trou
et le voisin a inventé une machine
il dit :  « moi, j’ai inventé une machine
qui s’appelle le langage »
il dit « c’est la première des machines sans doute »
une machine de merde 
sans doute
c’est parce qu’il a pas sa place le voisin
c’est pour ça qu’il dit ça
il dit j’ai pas ma place dans la nature
alors j’habite dans la ville
et alors la ville est un trou
hier déjà le voisin détruisait tout
c’est pas nouveau je dis
moi monsieur j’ai tout détruis
j’ai détruis la nature depuis que vous êtes nés
et depuis que je suis né aussi je détruis tout
moi monsieur il n’y a rien de nouveau là-dedans
car moi monsieur la machinerie est en marche
le développement des voisins est une sorte de tumeur
c’est ce qu’il dit le voisin
mais la tumeur est une bulle qui m’entoure
et le reste (la nature)
je la passe à la moulinette moi monsieur
car j’ai toujours programmé ça
avec ma moulinette 
j’ai toujours programmé la terre promise à moi-même
et à lui-même il se le promet la terre de c’est promis juré craché
tu l’auras ta fin de l’homme
car l’homme est un trou 
et l’alzeimer est une maladie de naissant
c’est une maladie qui attaque tous les voisins depuis qu’ils sont nés
depuis tout petit les voisins naissent en se souvenant de rien
c’est pour ça qu’ils brodent
il faut bien broder sa vie si on se souvient de rien
moi monsieur je me souviens je naissais
et moi monsieur je me suis mis à naitre
et après ?
après j’a mourru
et après ?
car après vivre on nous a pas dit de vivre
et avant non plus
avant la nuit du vivant
il y a la nuit d’avant vivre
la grande nuit
et puis après 
y’a la grande nuit d’après
et nous on nous a dit de vivre en plein milieu
on nous a dit t’as qu’à vivre là !
allez vous faire foutre !
l’existence est un squat
défense d’entrer veut dire : je m’enterre
mais non : défense de m’enterrer
je suis un entérré
c’est ça que tout voisin devrait dire
car c’est pas une vie d’exister
chien méchant
on va mordre
entérinons l’enterrement dans la terre de soi
la terre de l’existence
exister c’est être un autre qui se squatte
propriété égal existence
propriété égal je prie pour exister
propriété je prie pour y être
la ville est un trou et ses habitants foncent dedans
ils foncent dans le trou
c’est celui qui ira le plus vite
c’est celui qui rejoindra son trou au plus vite
son petit trou de vite
c’est ça qu’il rejoint
il se rejoint en vitesse
c’est-à-dire qu’il n’a plus de nouvelle de sa mort depuis qu’il est né
alors ça l’inquiète
et il est tellement inquiet qu’il regarde les émissions
le millionnaire est un jeu de la française des trous du cul qui se regardent
qui regardent leur trou du cul
car qui veut gagner des millions 
à part les trous du cul
qui veut gagner sa vie aussi
car il faut gagner sa vie
et pour les réinsérés
les gens désinsérés et qu’on réinsère
il faut gagner leur vie
et gagner le cœur de sa voisine
il faut le gagner 
et c’est pour ça que les voisins regardent le trou télé
car la télé est un trou
et ses habitants dedans aussi
ils vivent dedans
prions pour eux
prions pour que la religion
et que l’état
et que le patronat
prions pour que la flicanat
et que le dowe johns
et que l’industrie du cul
leur prête vie