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MAIS… REVENEZ DONC AU MEURTRE.


Edith Azam

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 - Mais…revenez donc au meurtre : Parlez-moi de votre père.

- Le meurtre. Je ne l’ai pas fait proprement. Un brouillon. Mon père fût mon premier brouillon. Je l’ai décanillé plusieurs fois avant de le foutre à la flotte. Vous savez, un père, je n’ai jamais bien su ce mot-là. C’est agaçant les mots lorsqu’ils nous cognent et qu’on ne comprend pas. C’est terrible ne rien comprendre : ça fait des sensations zéro. J’ai horreur de ça vous savez, de ne rien vivre dans un mot. Le langage, lorsqu’il est coupé, je pense qu’il vaut mieux l’abattre, faire table rase dessus, limer toutes les excroissances et fourrager le socle qui reste. Il faut que les mots, signifient quelques choses, il faut que parler, ça nous remonte au moins les tripes, si parler nous crée des hémorroïdes, ça ne peut pas tenir, si on se vide du cul, si on se vide entier par le petit trou de merde, ça devient intolérable la vie. Et moi, père, ça n’a jamais rien signifier, ça me faisait paquet de crottes : invivable, croustifier, un étron qui m’empuait trop. Ça pue chez moi de dire père, ça pue autant que dire merde. Alors vous voyez, cet homme qui ne me disait rien, qui me faisait un mot en trop au point d’alourdir, et de façon nauséabonde, tout mon vocabulaire, cet homme-là oui, c’est le premier : il m’a fait devenir meurtrier. Vous savez, vous n’avez pas à avoir peur, il n’y a aucune crainte à avoir, je ne ferai pas de mal à une mouche, oh non, croyez-moi, il n’y a aucune raison pour que je m’en prenne à vous. Regardez, je me trouve bien là, le langage, je vous parle et ça me parle aussi, les mots que j’emploie, je les comprends tout mes maux ici. Et croyez-moi, ce n’est pas si terrible, ça s’arrange une langue, ça peut passer partout, ça se glisse et la mienne est ici, propre, complexe mais propre : elle sonne bien, vous voyez, ici. Pour le père, vous voulez que je vous en parle encore sans doute, pour le père, c’était affreux cette indifférence que ça me fichait dans le ventre. C’est toujours affreux l’indifférence, et puis du reste, je n’y crois pas. Nous avons tous tant d’autres choses à faire alors… Alors l’indifférence, qu’on m’inflige cela, non c’est intolérable, je ne mérite pas ça, personne. Lui ? Lui oui, sans doute mon prénom lui disait quelque chose. Je me souviens, et j’étais si surprise oui, je me souviens qu’il m’appelait, qu’il me donnait même un surnom, mais cette voix… Sa voix, m’était…Tout sonnait faux voilà. Il fallait bien que ça s’arrête, il faut bien leur couper la sifflette, quand ça sonne aussi faux, les gens, ce qu’ils racontent. Moi ? Oui je m’y suis pris à plusieurs reprises. Je crois, pour les premières tentatives, il n’a rien remarqué. Sans doute pensait-il que j’étais maladroit ou légèrement débile. Je ne suis pas débile vous savez. Je comprends tout à fait ce que je fais, et désire faire. Je comprends tout à fait pourquoi je vous parle aujourd’hui. Oh c’est sans intérêt, je ne sais, mais… Mais je ne pouvais pas accepter ça non plus, qu’il me pense stupide, ou malhabile. Je me souviens, cette première fois, c’était dans le jardin, il ratissait pour planter les carottes, et moi, j’ai pris la pelle, la hache et la masse n’étaient pas dans l’établi, il les avaient prêtées : à voisin-voisine. Qu’importe de toute façon. J’ai pris la pelle alors oui, et puis, j’ai voulu taper très fort sur ça tête. PAF, qu’il se plante dans les carottes ! Et PAF, qu’on en parle plus du père, qu’on cesse de me dire, demande lui, à ton père, si tu n’es pas content, t’as qu’à le dire : à ton père, ou encore, ton père, tu vas voir, il va te dire deux mots, ça va barder crois-moi. Mais qu’est-ce que je m’en cogne moi de tout ça, je lui dois rien vous comprenez à cet homme, ma dette : c’est d’abord pour moi. C’est d’abord moi que je me paie. Et lui-là, tout le monde avec sa menace, de ce que le père il va dire, qu’il va me tailler le beefsteak : mais j’en avais cure à faire, je viens de dire que je m’en cogne, et je l’ai foutu à la baille. Hop ! Ni une ! Ni deux !

Vous comprenez la flotte, le plonger dans la flotte, faire bouillir son crâne j’ai pensé, j’ai pensé que ça ne pouvait pas être un mal. Entendez-moi bien, je ne dis pas par là que je m’attendais à autre chose, bon sang, non, sa gueule cramoisie, toutes les peaux qui se sont boursouflées, bien sûr que je m’y attendais. Mais c’était là le seul remède, le seul moyen pour moi d’entendre un peu ce que ça pouvait dire la voix d’un père. La voix de ce père-là oui, il faut que je précise. La voix de ce père qu’on m’a fait, avec des injonctions tout autour qu’il ne disait sans doute pas, lui, peut-être, mais qu’il me rappelait tout de même : dans ces silences. Alors, vous voyez, avec sa peau déconfiture au moins, je la voyais entière sa lâcheté, sa misère. Parce que la voix d’un père, ça ne s’entend jamais, ça ne se parle pas le langage du père : c’est une langue morte. Des paroles qui fixent la loi qu’on dit, mais qui n’inventent rien, qui ressassent et répètent le bon ordre social. Et pas la peine de vous le dire, mais l’ordre social moi, il faut le battre à froid, il faut bien regarder en face que de l’ordre social : y en a pas. Y a des ordres, on dit c’est au père les ordres, il a la bonne place à table et le meilleur morceau de viande. Moi, ça, ça j’en ai eu assez vous savez, moi aussi, pas que lui, moi aussi je suis cannibale. Et pour me faire marcher au pas c’est pas moi qu’on rouzigue. Le père, c’est bien ça, ça veut tous les bouffer ses femmes ses enfants, et moi, c’est bien compréhensible, moi j’ai voulu sauver ma peau. Alors le père, pfff ! toute la tête dans marmite, tête de veau et pieds de porcs !

- Et vous avez ressenti quoi ?

- Rien. On ressent absolument rien lorsque c’est la cinquième fois qu’on s’y attelle, à la chose. Vous voyez, la première fois, celle du coup de pelle pour qu’il se carotte total la binette, la première fois oui, j’ai eu peur. J’ai dû trembler sans doute, et il a dû entendre. La peur, ça les cogne fort les os. Je m’en suis bien voulu de tout ça, d’avoir loupé. Après, les autres fois, j’étais beaucoup plus solide oui, mais cependant… Oh, je ne sais, ce qu’il y a c’est certain, le père, c’était un brouillon.

 

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Salle d’attente. Dans la tête c’est toujours pareil, plusieurs voix s’enchevêtrent, se tissent l’une à l’autre. Et alors, ça t’énerve ? Non, je me dis juste que parfois j’aimerais saisir une parole. Pour quoi faire. Rien, avoir le sentiment d’exister peut-être. Tu crois vraiment qu’il n’y a que le langage ? Disons que je n’ai rien trouvé de mieux pour donner sens à mon silence : il ne cesse jamais. Mais tu es toujours entrain de parler, n’importe où, avec n’importe qui, même là, on pourrait croire que tu tais, et ben non : tu causes encore ! J’essaie de penser, c’est tout.

 

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 - Revenez, revenez…

- La mère ?

- Oui, la mère, revenez donc au meurtre.

- En fin de compte cela s’explique encore dès qu’on songe au langage. La mère bien sûr, et je disais Maman avec beaucoup d’amour. D’ailleurs, je dis toujours Maman lorsque j’y pense, et j’y pense souvent : Sans doute chaque jour même. Bref, la mère, certain qu’il me fallait son langage. Apprendre dans ses paroles à découvrir les miennes. Pourtant oui, comme je viens de vous le dire, la mère : tout premier meurtre envisageable : trop horrible la relation, c’est à n’y rien comprendre. C’est fait de sussions anthropophages : dur à avaler l’amour comme ça, à la tétine. Oh, vous allez me comprendre aucun doute, parce que tout de même, la tétouille, hein, le sein généreux qu’elle tendait puis qu’un beau jour, hop ! Fini ! La mère généreuse elle décide que TER-MI-NÉ, c’est plus pour moi c’est plus l’heure ! Non mais ça veut dire quoi tout ça ? et la bouillie de viande-merde qu’il m’a fallu alors bouffer parce que la mère, elle décide pour moi que c’est STOP, que je dois manger d’autres choses, que c’est plus sûr pour : mon développement. Mais je l’emmerde moi, mon développement, j’ai pas besoin de lui pour le faire ! C’est du verbiage ça, c’est du foireux ! Tout ça à la vérité, c’est parce que la mère elle en a assez, elle veut se faire putain mais n’ose pas le dire, la mère, qu’elle veut que le père il revienne, le sentir fort contre peau, que c’est la femme qu’elle veut être. Et moi, hein ? Moi je la voulais ma tétine ! La viande-hachée-compote ? Ça m’a sectionné du cordon. Et moi ? Me suis bien appliqué à la vomir, sa compote, et dans son cou, et sur ses bras, bien sûr que je m’appliquais à me vider sur elle. Fallait bien l’écoeurer le père, avec mon odeur de moufflet, et que la mère elle braillait, elle braillait comme une ânesse parce qu’il ne voulait plus la prendre le père, lui, certain que mon odeur de couche-merde, il en avait horreur, le père. Et elle, elle chialait, elle n’arrêtait pas, et tout autour : personne ne voulait la prendre, à pleine bouche oui, lui donner la salive, la muqueuse. Alors fatal, elle est revenue vers moi du coup Maman, pour le maintien du corps à corps. Pour se savoir en vie, c’est vers moi qu’elle a tendu à nouveau ses tétines. Oh les jolis tétons ! Et moi je pastouillais, je mordais fort de ma gencive, molletenais sa poitrine, m’y agrippais  de toutes mes mains, et je la sentais fort ainsi ma mère, avec tout le parfum de sa peau mêlait à mon lait caillé. Et puis voilà, la ritournelle recommençait, elle en avait assez, j’étais trop grand qu’elle disait, à presque-bientôt trois ans, c’était son expression ça, a presque-bientôt. Bref, à trois ans, faut plus être aussi goulu-la-mamelle. Et moi bien sûr, j’en avais honte, ça m’a fait naître de la honte tout ça, la honte de l’aimer beaucoup trop Maman, au point de lui manger les seins sans cesse. Et croyez-moi, c’est invivable ça : d’être honteux de tout un amour maternel. Mais je me suis mordue la langue oui, et je l’ai ravalée, ma honte ! Donc à presque-bientôt trois ans, j’ai vu le premier meurtre envisageable. Mais… je l’aimais vous comprenez, je l’aime tant Maman… Alors j’ai attendu, j’ai ruminé longtemps, c’était trop de douleur pour moi de m’en défaire et puis bien sûr : inévitable. Il m’a fallu être patient vous savez. A cause de l’odeur de sa peau je crois bien, de cette odeur de lait dont elle n’a jamais pu se défaire : même avec du parfum, jamais, jamais elle n’a pu me mentir sur son odeur de lait. Même dans ses salades et ses plats mijotés, moi, c’est son calcium que j’avalais. Alors oui, j’ai attendu le dernier moment, qu’elle soit assez vieille. Et puis un jour, il s’est imposé : le geste. J’ai su qu’il me fallait agir : Pour lui rendre service oui. Parce que le regard qu’elle avait lorsqu’elle me regardait, c’était tellement triste. On aurait presque dit qu’elle savait pour les autres, qu’elle attendait son tour, le demandé : j’ai cédé. Je n’en pouvais plus vous savez de voir ses yeux si tristes… Pauvre Maman, pauvres tétines ! Ca m’a fait de la peine, beaucoup de peine le jour ou j’ai compris ce qu’elle attendait de moi. Aussi, aussi ai-je été lâche, je n’ai pas pu le regarder ce meurtre, en face. Je savais juste qu’il se passait  à quelques mètres de moi, mais voir sa mort en face à Maman, non ça : je ne pouvais pas. Faites excuse je pleure, je m’attendris, c’est si triste tout ça. Et puis, sans doute l’éducation : ça se pleure une mère, c’est si violent. Vous ne trouvez pas ? Que c’est affreusement triste oui, et violent.

- Revenez, revenez, ne vous égarez pas.

- J’ai été lâche donc. Mais la colère, toute cette colère qui me tétait tout mon amour, c’était abominable. Alors je me suis vengé, c’est bien normal d’ailleurs. Elle m’avait privée de lait, de son bon lait, à mon tour, j’allais l’affamer. CRIC CRAC, enfermée dans le grenier, sous les combles, hop ! Sans eau sans pain, juste la canicule pour lui dessécher tout ce corps qu’elle ne voulait plus me livrer ! Et toc ! Elle était, je vous l’ai dit que j’avais patienté, elle était presque vieille, déjà ratatinée de dix bons centimètres : ça devient vite sec quand c’est parti comme ça. Elle n’a pas du souffrir non, c’était moi, en bas dans la cuisine, qui tournait comme un fou en buvant le lait de voisin-voisine. Et qu’il était pas bon ce lait, l’avait pas l’odeur de Maman. Et je tournais, me rongeais tous les sangs. Je pensais, j’espérais qu’elle m’appellerait, qu’elle voudrait que je la sauve et me dirait de revenir tout contre sa poitrine : boire à grande goulées son sang blanc, sang épais. Mais elle n’a rien dit, rien. Sûr que ça m’a gonflé la colère, et que quand j’ai entendu plok, lorsqu’elle s’est fichue par terre, je suis montée la voir et, comme prévu, elle était dans les fraises, évanouie sur le plancher. J’aurais pu, à ce moment-là, la ranimer encore, la prendre dans mes bras, la faire manger puis boire : je n’ai rien fait. La colère vous savez, ça m’extermine tout, ça me fait tourner le lait comme on dit. Alors carpette ! J’a l’ai laissée carpette avec sa petite respiration que j’ai écoutée quelques temps : jusqu’à ce que marre, jusqu’à ce qu’elle ne se ressemble plus en rien, Maman. Et ça va vite, croyez-moi, ça va vite la crève et le moisi lorsqu’on réduit son souffle en poussière et qu’on sait plus pousser un cri. L’amour, ça pourrit très très vite : maternel y compris, c’est évident. Vous avez du mal à me croire sans doute, pourtant, je vous l’assure, avec son souffle rachitique, soudain son cou, ses bras, sa poitrine, en dix minutes c’est devenu sévère. Austère, lugubre : une vraie tombe. C’était à beurker penser téter chiffon pareil. Plus rien de laiteux qu’il y avait, plus rien de tendresse, et c’était moche à voir comment lorsqu’on ne se bat plus pour les tripes, pour tout l’amour qu’on y fout dedans, comment se vieillit le squelette : Moins de dix minutes parole ! Montre en main ! Alors moi, moi j’ai regardé ce sac-à-mère se réduire, cela m’a tellement écoeuré que oui, je l’ai poussée du bout du pied, la merde, pour la cacher sous le lit parce que c’était trop dégueulasse cette savate sur mon plancher. Je l’ai poussée mourante, puis je suis redescendu tranquille : c’était plus ma Maman déjà, et n’avais rien à regretter.

 

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EDITH AZAM.

 

c'est reparti pour un tour !

"L'insécurité est partout, la violence est partout." Martine Aubry a résumé l'état d'esprit des six candidats à la primaire, mercredi 28 septembre, lors du deuxième débat télévisé organisé en vue du scrutin du 9 octobre. La "violence est partout dans la société", a confirmé Arnaud Montebourg, la politique de sécurité est un "échec très grave" de Nicolas Sarkozy, a indiqué François Hollande qui, sur ce thème comme sur d'autres, a mis l'accent sur le bilan du président sortant.

etc.

je jouis

 j'ouis

l'écrit libre
john giotto

 

 

ce matin je descends de bonne humeur, je vais prendre mon petit déjeuner de bonne humeur ce matin, car ce matin j'ai pris ma décision, j'ai trouvé tout seul, j'ai pris ma résolution et ma décision et mon courage à deux mains ce matin, c'est le bon jour pour bien se réveiller et prendre de bonnes résolutions, quand on est de bonne humeur une bonne idée pousse dans la tête et on est content, on a trouvé de quoi remplir sa journée, toutes les journées ne se remplissent pas pareil, la plupart des journées se remplissent très mal, mais là est une journée qui promet d'être bien remplie, j'aurais mon content d'images, mon content de bons souvenirs, il faut que je me débarrasse de tous mes professeurs, c'est à ça que j'ai pensé, il faut que j'aille visiter toutes les écoles où j'étais pensionnaire et que je tue un par un tous les professeurs que j'ai eu, ça c'est une bonne idée pour une bonne journée qui se présente bien, je vais prendre la voiture, je vais filer vers les écoles où j'étais pensionnaire et je vais me renseigner pour savoir où se trouve tel professeur, où se trouve le professeur en question, dans quelle salle, à quel endroit, s'il ne se trouve pas dans l'école j'irai le chercher chez lui, j'irai le prendre par la peau du cul et je le tuerai hors de chez lui, dans la rue, je tuerai tous les professeurs dans la rue, c'est-à-dire dans un endroit où ils ne tentent jamais d'exercer leur art, car leur art est d'agresser les jeunes étudiants dans des salles de cours, leur art est de salir la conscience de toutes ces petites têtes qui n'ont rien demandé à personne, et surtout pas d'être instruite aussi salement, aussi dégueulassement comme je l'ai été, ce matin je me suis réveillé et j'ai directement pensé à ce directeur qui m'avait fichu à la porte de son bureau, j'ai aussi pensé à ce professeur de sciences naturelles qui m'a giflé pour une faute, taureau il s'appelait, je vais commencer par le tuer lui, avant le dirlo je tuerai taureau, car taureau c'est bien pour commencer la corrida libre, une vraie corrida improvisée avec toutes ces bêtes à cornes qu'on ose appeler professeurs, car les professeurs ne savent rien, regardez bien dans les yeux vos professeurs, regardez les bien, froidement, dans les yeux, fixez bien votre regard et ne détournez pas la tête, regardez les fixement et tranquillement, pendant longtemps, regardez les et vous verrez ainsi la peur dans leur visage, vous les avez ainsi démasqués : ils ne savent rien ! ils ont vu dans votre regard que vous saviez qu'ils ne savaient rien. ce matin je suis bien parti, de bon pied, bon pied bon œil, pour aller massacrer tous ces imbéciles qui se disent être mes profs, je n'ai plus de profs, je ne veux plus être pensionnaire et me taper ces cons qui demandent qu'on les soutiennent à longueur d'année, car ne croyez pas que c'est vous qui devez apprendre, c'est eux qui doivent être rassurés et pour cela il leur faut une classe complète de jeunes gens pour les soumettre à la fausse vie, la fausse vie et le faux sentiment, la fausse profondeur et la fausse parole, ce matin je vais prendre la route, une longue et belle route, il fait beau, je vais pouvoir ouvrir le carreau et contempler le paysage, je prends la route que je prenais toujours pour aller voir ces professeurs, pour qu'ils me traînent dans la boue de leur savoir, leur savoir tout crotté d'imbécillités les plus crasses, je n'ai rien appris du tout avec tous ces professeurs et en plus je me suis fait insulté, je me suis fait rouer de coups, je me suis vu traité plus bas que terre, par exemple par ce professeur qui déformaient mon nom pour le ridiculiser, ou ce professeur qui passait derrière moi, juste derrière ma chaise et qui me disait calmement c'est bien, c'est joli, c'est bien écrit, c'est tout beau qu'il me disait tout gentiment, avant de me coller une grande gifle et de m'indiquer avec son doigt que j'avais fauté, j'avais mal recopié, va au tableau maintenant me dit taureau, je tuerai ce taureau, je le tuerai devant le tableau, devant tous ses collègues, j'emmènerai la petite tribu, le petit troupeau de moutons de professeurs ignares dehors dans la rue et je tuerai le taureau devant tous les autres moutons de professeurs ignares, mais pour le moment je dois prendre mon petit déjeuner, je dois me couper quelques tartines et mettre de la bonne confiture, de la confiture à la rhubarbe et au citron, je dois bien manger et bien penser à taureau, je penserai aussi à madame labiche, cette professeur d’anglais en quatrième et qui voulait me faire rentrer dans le crâne qu’une patate était différente d’une pomme de terre, lorsque j’irai la trouver je lui poserai encore la question, quelle est la différence entre une patate et une pomme de terre et elle ne saura toujours pas répondre, elle dira je ne sait pas mais c’est comme ça, une patate et une pomme de terre ça n’est pas pareil, c’est tout, mais là je ne la laisserai pas me baratiner, tout de suite j’en ferai de la purée de madame labiche, mais tout d’abord je dois finir mon bon petit déjeuner pour après prendre la route, je penserai à taureau et à labiche en conduisant sur la route, je penserai aussi à madame poulet qui n’était pas professeur, qui était cuisinière et nous servait sans cesse du hachis parmentier, tous les soirs du hachis parmentier avec en entrée des concombres, si je déteste les concombres et le hachis parmentier c’est bien à cause d’elle, j’irai la trouver avec taureau et labiche et je lui dirai, poulet, fais-moi du hachis parmentier avec ces deux-là, mais pour le moment il faut que je prenne ma voiture, je me vois déjà en train de conduire sur la route, je serai bien à conduire sur la route, je conduirai comme je veux, comme ça me plait de conduire, mais en même temps je respecterai bien le code de la route, bien sûr je ferai très attention de respecter le code de la route, et puis après j'arriverai à l'école et là je ferai un beau carnage, j'obligerai les professeurs à se coucher à plat ventre devant leurs élèves, je leur ferai faire la carpette devant les élèves, les élèves pourront essuyer leur pied sur leurs professeurs, je dirai aux élèves maintenant sauvez-vous, vous êtes libres, je vais tuer tous les professeurs de cette école et après j'attaquerai les suivantes, plus aucun professeur vivant, plus aucun ne pourra enseigner sans avoir peur que je vienne le tuer, dès que je saurai qu'un professeur est tenté par l'enseignement j'irai le voir et je lui ferai éclater la tête, son cerveau d'imbécile heureux éclatera en lambeau, toute la cervelle se répandra dans la salle des profs, ou dans la classe, sur les élèves, regardez un peu ce porc, regardez bien ce taureau, regardez son savoir qui éclate sur vous, il tente encore de vous pourrir la vie, il faut en finir, regardez comme sa cervelle a bien giclée, regardez comme c'est bon un professeur sans cervelle, regardez comme il a l'air neuneu, enfin, un vrai neuneu regardez, vous avez le neuneu type devant vous, il est sans cervelle et malgré tout il tente encore d'attirer l'attention vers lui, et puis je le laisserai tomber comme une vieille chaussette, je passerai au-dessus de son corps et je franchirai la porte, je ne la claquerai pas, je refermerai doucement la porte et je partirai tranquillement dehors, en sifflotant.

vivre

n'est pas se soumettre

vivre

est l'insoumission

à tout

ce qui se présente

comme règle

comme devenir moral

et comme impuissance

impuissance non pas à être

mais impuissance

au présent

tous les systèmes

sont des systèmes

d'impuissants

demain

je regarde les nuages

 

 

 

DE LA RIGOLADE

        Nous étions des âmes simples, des petites âmes de pauvres, des petites gens, des gens de petite fortune, des âmes pas grandement compliquées, de la petite mitraille, de la misérable bière, du populo très tranquille, pas méchant pour un sou, du petit peuple sans soucis, nous étions des petites personnes pas compliquées du tout, pas bien finaudes non plus, car nous n'étions pas très futées, des futilités, des babioles, des bidules pour l'histoire, nous étions la petite histoire, le petit remuement, la vaguelette qui se meure dans l'histoire, nous étions de la petite bière dans la vie historique, le petit mouvement de société, la petite pente mal dégrossie, la société sans classe, le mouvement pas cadré, des objets mal foutus et qui dérangent, de la bagatelle, de petits bibelots frivoles et mis de guingois, de la bricole pas passionnante, des sujets pas très affriolants, de petites badernes dans la civilisation, on parlait peu de nous, on parlait de nous mais pour rien dire de captivant, pour dire des sottises, car on ne pouvait rien sortir de nous, nous étions la petite sottise du temps, le petit cœur simple, pas compliqué, le petit cœur du temps historique et qui bat simplement, sans conséquence, sans une once de méchanceté, mais qui n'est jamais vraiment ravagé, qui bat sa petite mesure dans l'ombre des grands moments, des grandes décisions, des grands ravages, des grands coups de feu de l'histoire, nous étions de la petite graine qui saute sur un gros tambour, rien d'autre que de minuscules bâtons de riz qui danse sur la grande peau, la grande peau du monde, nous n'étions pas de cette peau-là, nous n'avions que notre peau, notre petite peau et à l'intérieur nos frêles petits os, nos organes pas très folichons et nos sales petites viscères, nos malheureux excréments, nos foutues selles qui nous ressemblaient trait pour trait, tout au moins pour les grands de ce monde, nous étions les fèces des plus grands, nous sentions mauvais, nous empestions même, nous dérangions, nous étions le dérangement permanents, nous étions de toutes les époques, nous dérangions l'histoire avec nos paroles inintéressantes, nous avions nos bonnes blagues dans nos petites bouches, de petites histoires sans parole qui nous sortait du bec, pour tenir le coup, nos historiettes sans histoire et qui faisait ricaner l'histoire, la vraie, car heureusement il y avait la vraie histoire, la grandeur, heureusement il y avait les grandes heures historiques, heureusement il y avait les coups de poing dans l'histoire, heureusement il y avait les cris historiques et non ces petits murmures indistincts, cette petite mousse hors du trou, ce petit parler crapotant, nous étions ceux qui grouillent tandis que les grandes mesures sonnaient l'heure, chaque heure fut sonnée sans nous, chaque heure de chaque société fut sonnée tandis que nous battions la campagne, la chamade, tandis que nous battions en retraite, apeurés et sourds aux discours et aux actes importants, chaque moment de chaque époque sociétale, chaque moment important, chaque mouvement décisif dans la civilisation se fit sans notre secours, on criait plutôt au secours en détalant, car nous n'étions pas de cette civilisation, nous comptions à peine dedans, de la piétaille, de la petite gonflette, une foultitude de gens modestes, un encombrement, une affluence sans influence, des sans grades qui vont à pied, car nous n'étions pas intéressants, on se passait de nous, nous n'étions que vilénies, ragots, commérages, injures aux grands hommes, nous n'étions que de la petite monnaie pour eux, une vaisselle de poche, un petit bruit qui dérange dans la vie, un persiflages, nous étions des rodomontades de vies, des glorioles, des mentiries, des broderies de fanfarons, sans intérêt, nous étions de tous les baragouinages, de tous les bafouillages, on bouinait sans conscience nos langages, on flânait et on blablatait sans cesse, mais tout ça sans importance, on parlait sans frais, car nous étions dedans, certes, dans cette société, cette civilisation, mais pour faire la masse, pour faire un peu de relief, pour façonner un peu l'image avec nos corps, nos corps charriés dans des aventures qui n'étaient pas les nôtres, nos corps ballotés au loin du cadre, nos corps comme un pauvre paysage vu de loin, nous étions l'horizon mais pas le grand horizon, le vrai horizon fier que l'on pointe pour y aller, pas le grand horizon qui captive le grand homme, le grand et le vrai horizon désigné par la grandeur d'un être, la grandeur d'une âme, nous n'avions pas d'âme, nous étions le tourment mais sans âme, on tournoyait sans cesse, nous étions plutôt l'abîme même, plutôt que l'horizon, même l'abîme fut un trop grand mot pour nous, il a fallu nous débaptiser, nous étions la petite trouée, l'accident, un petit talweg, une flaque, la chose qu'il faut bien passer outre, la chose qu'il faudra bien traverser et passer outre, la chose qu'il faudra bien s'y soumettre un moment pour passer outre et aller de l'avant, nous n'étions pas de l'avant, nous étions de l'arrière, des arriérés d'arrières pays, le pays de l'arrière avec ses arriérés de paysans dedans, nous étions minuscules et non majuscules, nous étions de toutes les décisions mais sans le vouloir, sans même le savoir, nous étions emportés avec les grands mouvements de l'histoire mais sans être au courant, nous étions dans les courants mais comme des bouches qui parlent trop, qu'il faut taire, des bouches de trop à nourrir, et nous étions mis en demeure de vivre, il nous fallait vivoter l'instant, respirer ce qu'on nous disait gentiment de respirer, penser ce qu'on nous dictait gentiment de penser, si nous pouvions un tant soit peu penser, on accompagnait le mouvement, personne ne nous tenait au jus, nous ne savions même pas que nous vivions, nous étions les futurs morts, nous étions déjà morts mais pour le futur aussi, nous jouions toutes les scènes où il fallait jouer, on ne nous comptait pas, nous étions les figurants, les pantins de l'histoire historique, nous étions les porteurs d'eau de notre destinés, nous aurions pu ne pas être là, nous n'y étions d'ailleurs pas, juste pour porter l'eau, l'eau au moulin, le petit moulin de nos petites et misérables vies, nos petites et misérables vies sacrifiés, nos petits moments sans rien dedans, nos petites et sales manies pas bien intéressantes, nous n'étions pas intéressants, nous étions le désintéressement total, le désintéressement de tout ce qui intéresse, nous étions les petits moments sans gloire dans la grande gloire, la lumière, nous étions aveuglés, mais nous restions tout sombres, puis nous tombions dans l'oubli, nous étions l'oubli même, la petite parlotte sur laquelle il pleut, nous étions fins prêts pour la boue, car il pleuvait tout le temps sur nous, sur nos dires et nos racontars, sur nos devinettes pas bien méchantes, sur nos paroles sans aucun lendemain, nous étions comme des amours sans lendemain, des aventures sans saveurs, nous étions torchés à la va vite dans les siècles, comme une vieille rengaine, nous rabâchions sans cesse à travers les âges, on nous chantait des berceuses, des comptines, on nous baratinait tout le temps, nous étions tout ce baratin, la chansonnette stupide, le refrain niais du soir historique,  nous étions de tous les siècles, les grands siècles qui ne nous ont jamais contemplés, nous étions dans l'histoire, sans aucun doute, mais vu du grand trou, le grand trou face à la grande montagne, nous clamions notre innocence à l'éminence des altitudes, nous chantions des louanges pour les hauteurs, nous bêlions face aux grands, puis nous repartions dans le trou, ce n'était même pas un grand trou, c'était le petit trou dans le grand trou, le vrai grand trou avec dedans le petit trou sans importance, la petite pente sans gravité, la rigole, nous n'étions pourtant pas rigolos, nous n'étions que de la rigolade, de la rigolade sans nom, voilà ce que nous étions.